Prendre soin de son patrimoine numérique, c’est parfois le travail d’une vie, dépendamment des archives que l’on souhaite conserver. Il s’agit d’un patrimoine non tangible, mais non moins précieux, qui regroupe tous les biens numériques qu'une personne possède, crée ou gère au cours de sa vie. Pour y arriver, il faudra accepter d’investir un peu de temps dans ce travail méthodique qui raconte un parcours unique à préserver et surtout à léguer.
Je me souviens… jusqu’à quel point?
J’ai perdu mon père à l’âge de 10 ans. Au fil du temps puis des décennies, les souvenirs se sont estompés pour ressurgir en bribes séparées et les photos sont devenues le seul repère pour revoir mon père. Si je pouvais retourner dans le temps, j’irais avec mon enregistreuse numérique, ou au mieux ma caméra vidéo, et je lui demanderais de me raconter un peu sa vie. Je conserverais cette voix dans un disque dur, bien archivée en 2 copies, puis chaque 5 ans, je transférerais toutes les archives de ma vie sur un nouveau support, afin d’assurer la préservation et la pérennité de mon patrimoine numérique. Ainsi, je pourrais m’y replonger à l’occasion, pour lui redonner vie de différentes façons, pour le transmettre à mes filles et peut-être mes petits garçons. Pour éviter qu’un enfant de 10 ans ne cherche la voix de son papa toute sa vie durant.
Les méandres du numérique
Dès qu’on touche au numérique, on entre dans un monde dont on ne connaît pas très bien les paramètres. Que restera-t-il de vous lorsque vous ne serez plus là? Si vous ne le savez pas, vous risquez de laisser des traces un peu partout. J’aime bien utiliser l’image d’un homme mort en 1982, qui aurait laissé traîner ses lettres d’amour en dessous du lit, les pages de son carnet d’adresses éparpillées dans la rue, ses papiers d’impôt et de ses finances personnelles envolées au vent sans parler des photos de sa vie personnelle affichées sur les panneaux de publicité de son quartier.
Cet homme, en 1982, a assurément mis de l’ordre dans ses affaires ou au pire a tout conservé entre les quatre murs de sa maison. Mais aujourd’hui, la maison numérique n’a pas de porte, ni de mur, ni même de toit. Tout peut s’envoler si on ne met pas d’ordre là-dedans. Tout peut se perdre si on ne sécurise pas la maison.
Du coffre en métal à Facebook
Quand j’étais jeune, nous avions un coffre en métal bleu dans le sous-sol de notre maison. Dans ce coffre, les albums de photos de famille relataient notre histoire récente et agissaient comme de puissants vecteurs d’affiliation familiale. Nous étions unis par notre mémoire commune illustrée par les photos mal cadrées, floues et pourtant parfaites de nos vies.

Aujourd’hui, quand on veut replonger dans son passé, le coffre n’est plus en métal, mais numérique, et sa grosseur dépend de notre façon de conserver nos archives : les photos de notre enfant dans un vieux iPhone, les vidéos de nos vacances de 2012 dans un iPad déchargé, les souvenirs de nos proches dans un ordinateur dont on ne connaît plus le mot de passe. Certaines personnes utilisent leur page Facebook pour archiver leurs souvenirs de voyage. On peut ainsi les partager avec un plus grand nombre de gens ou créer des groupes familiaux. Mais Facebook n’est pas un coffre en métal bleu, c’est une entreprise privée multimilliardaire à qui l’on a consenti de partager son contenu personnel. Si Facebook décide de fermer votre page pour une raison inconnue ou encore, si vous oubliez de nommer un mandataire pour gérer votre page à votre décès, il deviendra difficile, voire impossible, de rejoindre quelqu’un qui pourra donner l’accès à vos publications passées.
Par où commencer
Vos courriels, votre historique de navigation, vos contacts, vos médias sociaux, vos appareils électroniques, vos abonnements, vos sites d’hébergement de données, les photos, les vidéos, mais aussi vos mots de passe, vos comptes en ligne et la cryptomonnaie si vous êtes rendus là… La liste de nos traces numériques s’avère imposante quand on s’y arrête. Les gens ont souvent l’impression d’être devant une montagne de données et ne pas savoir par où commencer l’ascension.
Une bonne première action consiste à se procurer un gestionnaire de mots de passe qui permettra, en outre, de libérer votre mémoire ou votre calepin de tous vos mots de passe accumulés au fil des années. Il en existe de très bons qui allient sécurité et simplicité. Certains offrent la possibilité de partager votre clé de sécurité à une personne de votre choix. Trop souvent, des gens partent avec le mot de passe de leur simple téléphone, ce qui peut complexifier la tâche des successeurs.
Ensuite, consultez les paramètres de vos différents comptes (Google, Apple, Facebook, etc.). Certains permettent de léguer vos données à des contacts de confiance ou de configurer l’accès en cas d’inactivité prolongée. Mettez de l’ordre dans vos services de sauvegarde en ligne (Google Drive, Dropbox, iCloud, etc.) afin de voir ce qui s’y trouve et d’évaluer la possibilité de tout rapatrier sur votre propre disque dur.
Enfin, évaluez tout le contenu que vous avez (vidéo, photos, écrits, etc.) afin de le numériser, de le conserver et ultimement de l’utiliser à diverses fins. Mais avant de savoir comment numériser, demandez-vous ce que vous souhaitez numériser. Il y a assurément un ménage et un choix à faire. Ce choix est tout à fait personnel, mais pensez à vos enfants et petits-enfants qui porteront un regard différent, sinon curieux, sur les archives de votre passé.
Quelques trucs rapides :
- Utilisez un bon support (disque dur, un forfait virtuel avec des accès bien définis, un cloud à la maison, etc.).
- Soyez organisé (groupe, sous-groupe, etc.)
- Utilisez des dates, des dossiers, des métadonnées (ex : Photos/2025/Janvier/Voyage)
- Conservez précieusement votre patrimoine sur un disque (réel ou virtuel) que vous utilisez et déposez une copie de ce disque dans un endroit sécurisé.
- Transférez vos données sur un nouveau support environ chaque 5 ans.
- Informez-vous sur la sécurité de vos actifs numériques (compte en ligne, biens numériques, cryptomonnaie, etc.). Il s’agit là d’un domaine légal sur lequel un professionnel vous apportera la bonne lumière.
Dans le domaine des communications depuis plus de 15 ans et président des Productions Keniscope, Patrick Richard a également une formation universitaire en histoire. À travers son parcours, il s’est donné pour mission de sensibiliser les gens à s’occuper de leurs archives, afin que notre devise « Je me souviens » puisse redonner une place à ceux qui ont habité le territoire.