Salut Benoît, mon frère, mon jumeau,
28 octobre 1964, le jour de notre naissance il faisait 12 degré Celsius et le temps était brumeux. J'aurais dû me douter que cela était un signe. La brume, être dans la brume, voilà comment je me sens depuis ton départ. Évidemment j'ai des remords et des regrets. J'aimerais tellement pouvoir reculer dans le temps pour changer les événements.
Depuis ton départ tout est difficile... le mode attente est toujours actif, j'attends que le téléphone sonne, j'attends une visite pour recevoir un petit bec sur le front en me disant que tu m'aimes, j'attends un courriel pour me dire que Messi est le meilleur joueur au monde... J'attends, j'attends. Des fois, je me surprends à regarder mon téléphone en espérant qu'il sonnera pour y voir ta photo apparaître. C'est tout sauf intelligent.
50 ans cette année, une ride de plus pour me rappeler la douleur que j'ai à vivre sans t'avoir à côté de moi. Je me souviens lorsque tu disais que tu trouvais cela comique lorsqu'une personne te souhaitait un joyeux anniversaire. Tu avais raison, personne ne comprenait que c'était notre anniversaire pas l'anniversaire de l'un ou de l'autre. Je me souviens la fois ou tu m'as posé la question le plus sérieusement de monde, pourquoi maman fait deux gâteaux?
Aujourd'hui, jour de nos 50 ans, je n'entendrai pas le téléphone sonner et ta voix me dire bonne fête mon petit frère. Aujourd'hui, je ne peux pas te répondre «toi aussi mon petit frère».
Il y a plus de 6 mois j'avais écrit que composer avec ton départ et de l'accepter ne se fera sans doute jamais. Aujourd'hui, je suis en mesure de confirmer que vivre sans son jumeau est d'une absurdité. Nous sommes monozygotes, le même œuf, le même placenta, le même sac, le même patrimoine génétique, le même groupe sanguin.
Il paraît que je dois maintenant apprendre à vivre en acceptant le changement et que, pour y arriver, je dois éviter de vivre dans le passé. Comment ne pas vivre le présent sans le passé alors qu'un simple miroir, un simple regard me rappelle que je suis un jumeau, à la vie et à la mort. Vivre la mort de son jumeau c'est aussi vivre son immortalité, c'est aussi vivre pour permettre aux autres de mieux composer avec ta perte, ma perte. Vivre en complicité, en harmonie, tout le contraire de notre société.
Si la mort est unique, si la mort est personnelle, c'est parce qu'elle appartient à la personne qui la vit et tout cela commence avant même sa naissance. Pour des jumeaux cela revient à dire que vivre la naissance c'est aussi vivre la mort.
Je n'ai toujours pas terminé le roman dont je t'ai parlé, pas à cause d'un manque d'inspiration mais par un manque de temps. Le temps, c'est comique cette expression...«manque de temps» alors que le temps se mesure uniquement en ayant fixé deux points de repère. Le jour et la nuit, l'hiver et l'été, du 1er janvier au 31 décembre, la vie et la mort, bref, on réalise que le temps est un mot fourre-tout, un mot passe-partout.
Dans le fond, il faut prendre la décision de faire, il faut prendre la décision de dire, il faut, il faut. Il faut faire et dire afin de ne pas avoir de regret tout simplement. Dire comme tu me disais souvent, j'ai confiance en toi, je crois en toi, je t'aime. Faire comme tu avais l'habitude de faire, des câlins, des bécots, des gestes pour donner, éviter de garder pour soi, tout sauf être égocentrique. Encore une fois, nous y revenons : comment être égocentriques lorsque l'on est jumeau?
Tu te souviens le jour où un dîner a été tenu pour souligner mon départ de l'enseignement? J'ai retrouvé la carte que tu m'avais remise. Dans cette carte tu commences par une citation d'Ernesto CHÉ Guevara : «Sois toujours capable de ressentir au plus profond de ton cœur n'importe quelle injustice commise contre n'importe qui, où que ce soit dans le monde. C'est la plus belle qualité d'un révolutionnaire.»
Et tu ajoutes : «à mon petit frère que j'adore, que j'admire, à ton audace, ton courage, ta perspicacité et j'en passe sont pour moi indéniables. Tu es MON inspiration. Si j'avais le quart de cette énergie, j'en serais bien heureux. Un nouveau défi! Prendre l'avion du communautaire... tant que ce n'est pas Cubanair, ah ah! Je t'aime... Benito.»
Moi aussi je t'aime mon petit frère, et aujourd'hui, voilà 50 raisons d'être sur la terre : MOI, Un déjeuner, un rhum, un câlin, un bec, un voyage, Cuba, du poulet, la plage, le soleil, la salsa, le merengue, un palmier, ton fils, mon fils, la famille, la mer, les vagues, la France, la Suisse, la musique, la Petite Vie, rire et sourire, les Nordiques, un roman, le Québec, l'indépendance, les élèves, le football, le soccer, Messi, la Côte d'Azur, la coupe du Monde et la coupe des Champions, l'Impact de Montréal, l'avion, la ville de Québec, un bain tourbillon, la tradition, une poutine, un Pepsi, un toutou, un film, une étoile, les Colocs, la Fête Nationale, la lune, la chaleur, ta voiture, tes amis, l'amour.
Aujourd'hui, en ce 28 octobre, je lève un verre à ta santé, à notre santé.
Tu me manques mon petit frère... je t'aime XX
Ton jumeau ad vitam aeternam...
Bernard
Gatineau (Québec)