Patricia … Je t’aime, j'ai parfois l’impression que tu existes toujours...

Patricia ...
Je t'aime, j'ai parfois l'impression que tu existes toujours, quelque part, que tout ça n'est qu'une parenthèse dans notre vie, un mauvais rêve, qu'un jour, je vais tout simplement revenir chez nous et te trouver, souriante, comme à ton habitude ...

Je t'aime, et pourtant, c'est vrai, c'est arrivé : tu as choisi la mort alors que moi, j'ai choisi la vie, je dois la choisir à nouveau à chaque instant, malgré ta mort qui me hante ...

Je t'aime, mais cet amour que j'éprouve pour toi, de même que cette colère, cette peur et cette culpabilité que j'éprouve envers ta mort ne devront devenir, avec le temps, qu'une partie de ma vie, toujours plus petite, toujours moins douloureuse, enfin je l'espère ...

Je n'arrive pas à y croire, Patricia, je me sentais tellement rassurée après qu'on se soit parlées, une semaine avant ta mort. Pourtant, je sentais que quelque chose clochait, je crois que je sentais ta mort, je l'imaginais en voulant croire qu'elle ne t'attirerait pas à ce point, que tu allais pouvoir te sauver la vie, que tu allais survivre à ta douleur ...  Je ne pouvais imaginer que cette douleur était si intense, je ne me doutais pas que cette mort que j'imaginais était déjà présente en toi, qu'elle prenait toute la place, repoussant toute la vie.

Je me suis approchée de ta mort, j'ai essayé de t'appeler juste avant, j'ai perçu ton corps sans vie, suspendu. Cette mort que j'ai perçue si violente me fait mal, et je crois à présent pouvoir sentir l'intensité de ta douleur, trop tard cependant ...

Je t'ai vue morte, je sais que tu ne voulais pas ça, tu as tout fait pour m'éviter de te trouver... J'ai parfois peur que, de là où tu es, tu puisses m'en vouloir pour ça : tu voulais m'éviter un traumatisme, mais tu voulais peut-être aussi ne pas partager cette intimité profonde que peut être la mort...  De la même façon, j'ai peur que tu m'en veuilles d'avoir lu tes écrits, d'avoir cherché à connaître ce que tu ne m'avais jamais dit...  J'ai eu besoin de comprendre, besoin de te voir morte, besoin de connaître tes souffrances passées comme si elles pouvaient donner un sens à ta mort... Pardonne-moi.

Tu as choisi la mort, alors que moi, j'ai choisi la vie...  Et la vie, je l'avais choisie avant ta mort, j'aurais aimé pouvoir la choisir sans compromis, sans devoir m'éloigner de toi...  Mais ta souffrance était trop grande : au fond, pour vivre, je n'avais pas d'autre choix que de me refermer un peu pour ne pas être totalement atteinte par ta douleur ...  Je me sens coupable de cela, mais en même temps, je t'en veux !  Pourquoi n'es-tu pas allée chercher de l'aide pour apaiser ta douleur et te permettre de vivre ?  Je n'arrête pas de penser qu'en plus, je t'avais trouvé cette aide, il ne te restait qu'à faire le dernier pas ...  En fait, j'aurais tellement aimé que ça se passe ainsi : je me disais que si quelqu'un t'aidait, je pourrais enfin vivre pleinement cette vie que j'avais choisie.  Dans les derniers mois, Patricia, je me sentais seule avec toi, c'était si froid, si lourd que je n'arrivais même pas à bouger pour briser cette solitude, pour tenter de t'aider ... Tu étais sans doute déjà morte, ou tout près de la mort, en phase terminale d'une souffrance qu'aucun médecin ne peut quantifier, une souffrance de l'âme.

Pourquoi tout ce poids sur mes épaules ?  Me croyais-tu forte à ce point ?

J'espère que tu es bien là où tu es, que ta souffrance a pu s'apaiser.  De mon côté, je dois apprendre à vivre avec la douleur que tu m'as léguée : l'apprivoiser, la vivre, puis m'en décharger.  Je devrai aussi apprendre à ne plus avoir peur de toi, puis à me détacher doucement : j'ai choisi la vie, je ne peux vivre trop près de ta mort.  Et puis oui, à présent, j'ai peur de toi ! Avant, j'avais peur pour toi, parce qu'au fond, je sentais ta souffrance.  Maintenant, justement parce que je sens cette souffrance qui t'a poussée à une mort si violente, j'ai peur, peur de te voir apparaître, peur d'apprendre que tu n'es pas bien ... Je suis épuisée, fatiguée d'avoir peur : si j'ai une seule demande à te faire, s'il te plaît, donne-moi raison de ne pas avoir peur !

Je vais avoir besoin de m'éloigner définitivement de toi Patricia, doucement, mais pas tout de suite : j'ai besoin de sentir encore ta présence pour ensuite sentir le poids de ton absence et, enfin, m'y habituer. J'ai besoin d'imaginer encore ta chaleur et ta douceur, te serrer fort, te bercer, me blottir dans tes bras, me rappeler combien je pouvais être bien près de toi. J'ai besoin d'encapsuler mes beaux souvenirs avec toi, m'y référer quand j'en aurai besoin, mais m'en éloigner pour vivre autre chose et arriver à considérer notre vie comme une parenthèse, une partie seulement de ma propre vie...

Geneviève

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