La douleur

Au début, elle le cherchait partout,
Dans les objets qu'il avait touchés
Les vêtements qu'il avait portés,
La musique qu'il avait entendue
Et les mots qu'il leur avait écritsElle le cherchait au plus loin dans le ciel
Et se mit à s'intéresser aux oiseaux
À leurs migrations
Si elle devenait oiseau,
Elle parviendrait à aller elle aussi de l'autre coté

Dans la mer, elle nageait infatigable vers le large
Ne se rendait pas compte de la froideur de l'eau
Elle suivait le rayon de soleil en fixant l'horizon
Le plus dur, c'était de décider de revenir sur le rivage
Le sol était incroyablement dur et glacé

Il lui fallait marcher beaucoup marcher
Pour calmer les assauts réguliers de la douleur
Qui menaçait de l'emporter
Elle avançait comme une équilibriste sur son fil
Le précipice l'attirait mais comme il était profond et noir...

Sa route avant paraissait toute tracée
Elle vivait maintenant dans un paysage dévasté
Il n'y avait plus de passé, ni d'avenir
Le présent était un tas de cailloux et de terres
Dont elle ne pouvait plus rien faire

Le cataclysme ne les avait touchés qu'eux seuls
Les transformant subitement en famille à part
Ils avaient besoin des autres et les évitaient
Les autres se rapprochaient d'eux et se détournaient
Tous avaient peur de l'abîme et de l'insupportable

Sa peau était à vif
Certains mots soi-disant consolateurs
La blessaient ils réveillaient l'atrocité de l'événement
Et soulignaient la béance de la solitude
Elle ne pourrait jamais ni le remplacer, ni l'oublier

Elle ne supportait pas qu'on lui dise que la vie continuait
Elle n'était que brisure
Elle ne pouvait pas entendre que le temps calmerait tout
Elle savait qu'il allait user tous ses souvenirs
Elle voulait le garder en elle vivant

Elle n'aimait pas les mots des autres sur leur malheur
Personne ne pouvait imaginer
Ni la profondeur du manque, ni l'immensité du vide,
Ni l'horreur de cette absence-là

Elle aurait aimé être à son tour dorlotée et bercée
Elle n'avait plus le goût de vivre,
Elle n'avait plus envie d'aimer

Les pensées les plus noires tourbillonnaient
La vie n'avait plus aucun sens
Ce vers quoi les gens couraient était dérisoire et futile

Les efforts conduisaient au néant
Les larmes ne voulaient plus couler
La colère l'aidait à tenir

Il fallait en plus continuer à voir
Les parents avec leurs enfants
Des couples de jeunes enlacés
Elle ne savait pas ce qu'elle pourrait faire de cette violence-là

Elle était parfois sensible aux moindres signes :
Les couleurs chaudes de l'automne
Le ciel qui après la pluie redevenait bleu
Le manteau blanc de la neige qui recouvrit leur 1er Noël
La nature semblait parfois la comprendre et l'entourer

Elle recevait ce qui venait du cœur et tentait de la rejoindre
C'était une fleur, un café, une écoute ouverte et chaleureuse
La tendresse de ses proches lui était si précieuse.

Le souvenir de Christophe les aidait à tenir,
Les incitait à s'aimer et à avancer tous les jours un peu plus

Elle lisait, se nourrissait des lettres et des livres
Qui lui parlaient d'injustice, de cruauté du destin
Et aussi de force et d'espoir.

Elle écrivait beaucoup
Pressentant déjà que l'écriture
La sauverait de l'impuissance et de la solitude.

Yvette
Nantes (France)

Un signe de toi