Je ne sais par quoi commencer cette lettre...

Cher Pépé,

Je ne sais par quoi commencer cette lettre. Tu es parti il y a 2 jours déjà, tu me manques terriblement. J'ai eu beaucoup de mal à l'accepter. Tu étais en pleine forme ce dimanche quand nous sommes venus te voir. Nous avons quitté l'hôpital sereins, persuadés que le plus dur était passé. Je pensais venir te voir lundi, avant mon cours, te faire une surprise... J'ai accusé ces médecins de t'avoir opéré sans qu'il n'y ait véritablement urgence. J'essaie maintenant de me dire qu'il vaut mieux que tu sois parti cette nuit-là, heureux, serein, sans souffrance, plutôt que tu ne te sois lentement dégradé, ce que je pressentais depuis quelques mois. Tes premières grosses difficultés à marcher, tes essoufflements, ta fatigue...      J'espère qu'où que tu sois, tu te portes bien. C'est très difficile pour moi, de ne pas savoir où tu es. J'aimerais croire à une sorte de paradis, un lieu où les âmes se reposent, mais j'ai beaucoup de mal. J'ai peur que corps et âme n'aient disparu ensemble. Je continuerai à te parler, cependant. Lisa n'y croit pas non plus à ce paradis, elle me dit que tu ne survivras que dans nos souvenirs, dans nos cœurs. Je préfère essayer de penser que, malgré tout, quelque part, tu nous entends. Même si je n'arrive pas réellement à concevoir ce quelque part.

J'ai longtemps hésité, comment te dire adieu ? J'aurais voulu te voir une dernière fois, seule, sans personne. Ce n'était pas possible. L'enterrement me terrifie tout autant. Tout ce monde, j'aurais l'impression de ne pas pouvoir te faire mes adieux, mes propres adieux, uniques. J'ai donc décidé de venir le lendemain, avec un bouquet, et de demander que cette lettre te soit déposée. Ça sera le meilleur moyen je pense. Je ne l'ai jamais fait pour Mémé, c'est peut-être pour cela que je l'ai si mal vécu. J'espère le vivre un peu mieux avec toi.

Tant de choses vont me manquer. J'ai replongé dans notre passé. De ma petite enfance, ce sont les fêtes dont je me souviens le plus. Le Nouvel An, certains cadeaux (cet arbre qui cachait une maison à l'intérieur !), les cartes que tu m'envoyais, avec Donald, ou des chats, ou des jeunes filles dans l'air du temps pour la Ste Catherine... Notre relation s'est développée à mesure que je grandissais, je crois qu'en fait tu n'étais pas à l'aise avec les jeunes enfants. Tu as commencé à devenir mon confident. Il y a bien peu de choses que je ne t'ai pas dites !

Tu m'as toujours soutenue, dans toutes mes entreprises. Même si je n'en donnais pas toujours l'impression, j'ai toujours écouté attentivement tes conseils. Ta fierté face à mes réussites scolaires puis universitaires me poussait à faire toujours mieux. Tu as été un peu déçu que je décide finalement d'opter pour le privé plutôt que pour l'Éducation Nationale, mais je pense que tu ne regrettais plus mon choix. Je pense que la dernière image que je t'ai donnée était celle d'une jeune femme épanouie dans son nouveau travail, heureuse en amour. L'essentiel pour moi.

Je suis heureuse que tu ais accepté Laurent. Lui aussi a été affecté par ton départ. Ce 1er janvier, tu lui avais prouvé qu'il était de la famille à tes yeux, ça l'avait énormément touché. J'aurais tant aimé que tu viennes nous rendre visite dans notre futur appartement, que tu assistes à notre mariage. Je te voyais également prendre nos enfants dans tes bras. J'espère que tu verras tout ça, quelque part...

Merci pour ta générosité, pour ta confiance, ton soutien, merci pour ta constante bonne humeur, ta sérénité bienveillante. Merci pour toutes ces discussions autour d'un jus d'orange et d'un tiramisu. Pour ces billets glissés discrètement, ces "ne le dis pas à ta mère" dans les moments difficiles. Pour ces coups de fil, le jeudi soir, t'assurant que j'étais bien rentrée. Ces coups de fil, en général, t'assurant que tout avait été comme je le voulais.      Merci pour ces boîtes de gâteaux, de chocolats, tu avais toujours peur que j'ai faim ! Il me reste une boîte de ces petits gâteaux écossais, je la regarde, je n'ose pas y toucher, ils me donnent envie de pleurer...

Merci également pour toutes ces fêtes, ces réunions de famille que tu as données, toutes celles où tu es venu, tous ces cadeaux que tu m'as offerts. J'espère que ceux que tu as reçus t'ont plu... Merci pour tes cartes, tes lettres. Merci pour ces récits que tu me faisais de ton enfance, de la guerre. Je ne les oubliais jamais, tu sais. J'aimais les réécouter.

Merci pour tes étreintes, tes bisous, ces compliments murmurés à l'oreille. Je garde en mémoire celui de Noël ! Tout cela me vient un peu dans le désordre, mon esprit a perdu de sa logique, mes écrits de leur rigueur depuis lundi. Tout cela va me manquer terriblement. Et tant d'autres choses encore qui ne me viennent pas immédiatement à l'esprit. Choses essentielles, choses futiles, qui constituaient cette relation si spéciale qui nous unissait.

Je disais tout à l'heure qu'il y avait peu de choses que je ne t'avais pas dites. Il y en a une très importante que je ne t'aie jamais dite, parce qu'il me semblait que cela transparaissait à tous les instants. Je voudrais, à défaut de te la dire, te l'écrire, JE T'AIME. Tu resteras à jamais dans mon cœur.

J'espère que quelque part, tu entends ces mots. J'espère également qu'un jour, nous serons réunis.

Comme tu me le disais si tendrement, je t'embrasse bien fort.

Ta petite fille,

Alison
Arras (France)

Mon grand-père a emporté cette lettre avec lui,
entre ses mains croisées sur son coeur.

Tu nous as quittés depuis 7 mois déjà...