J'ignore si mon histoire a un intérêt pour vous, mais j'aimerais la raconter, pour peut-être l'exorciser...

J'ignore si mon histoire a un intérêt pour vous, mais j'aimerais la raconter, pour peut-être l'exorciser...      Le vendredi 28 mai 2004, j'ai décidé de ne pas rentrer chez mes parents tout de suite : j'étais aux études et ne rentrais que le weekend. Cette fois-là un ami nous a proposé de passer la soirée chez lui, j'ai donc téléphoné à ma mère pour lui dire que je ne rentrerais que le lendemain. La soirée a été formidable et aucun de nous n'a dormi de la nuit. Épuisés mais heureux d'avoir passé un bon moment.

Le 29 mai, mes amis et moi reprenons le train afin de revoir nos parents. Arrivée chez moi, on sonne à la porte : les gendarmes étaient embêtés et ne savaient trop comment me dire que papa s'était tué en moto une heure plus tôt. J'ai d'abord donné un coup de pied dans la porte, c'est un peu idiot, mais c'est sorti comme ça...ensuite, j'ai essayé de joindre mon fiancé pour lui annoncer la nouvelle. Il était à un enterrement à ce moment-là et n'a pas pu me répondre car son portable était éteint. J'ai su plus tard que j'avais tenté de le joindre 37 fois de suite. Toute la famille est arrivée chez moi. Tout le monde pleurait, mais l'image qui me reste aujourd'hui est celle de mes quatre grands-parents (paternels et maternels) que je n'avais jamais vu dans cet état.

À ce moment du récit, je ne réalise toujours rien du tout. Mon cousin me dit qu'il faut annoncer la nouvelle à Julien, mon grand frère, à cette époque étudiant à Louvain. Nous faisons la route silencieusement et je ne sais pas comment annoncer à Julien que notre père ne sera plus jamais là. Ce n'est pas facile du tout. Julien crie et pleure tout de suite, je l'envie car je n'y suis parvenue qu'une semaine plus tard, le jour de l'enterrement.

De Louvain, nous nous rendons à l'hôpital où la famille s'était rendue entre-temps. Je vais devoir voir le corps. Je m'y refuse mais mon fiancé insiste beaucoup. Tout le monde m'observait, cette situation qui devrait être intime ne l'était pas le moins du monde, ce que je regrette encore maintenant. J'ai entraperçu son cadavre. Ma grand-mère l'embrassait et moi, j'avais toujours du mal à le regarder. Ils ont fermé le cercueil. J'ai traversé les quelques jours au funérarium comme si je n'étais pas dans mon corps, passant mon temps à m'occuper des gens autour de moi sans m'arrêter pour réfléchir à la situation.

Le 2 juin, nous avons enterré papa. L'église débordait et c'est à ce moment-là que j'ai fini par craquer enfin. Je crois que c'est là que je me suis rendue compte qu'il se passait quelque chose d'assez grave pour déplacer des foules. C'est idiot mais j'ai vraiment eu du mal à accepter.

Trois semaines plus tard, j'ai eu vingt-et-un ans.

Depuis, j'ai eu différents rêves à propos de papa : il m'écrivait qu'il était toujours vivant, qu'il reviendrait bientôt, qu'il reviendrait pour de bon. Aujourd'hui encore je me dis, dans les moments pénibles de la vie quotidienne (stress des études...), qu'il sera bientôt là pour m'aider à régler tout ça, après quoi je me reprends et me dis que la vie sans lui est plus difficile que ce que j'aurais pu imaginer.

Ma mère et lui ne s'entendait plus, mon frère ne vit plus chez nous et je n'ai personne à qui en parler. C'est peut-être ça le plus difficile. Souvent j'écoute la chanson « Seasons in the Sun » de Terry Jacks afin qu'il sache que je pense à lui, que, malgré nos différends, c'était mon papa et que je m'en veux d'avoir passé la dernière soirée où l'on aurait pu se voir chez des amis. Avec le recul... Voici un extrait de la chanson :

« Goodbye Papa, please pray for me
I was the black sheep of the family
You tried to teach me right from wrong
Too much wine and too much song
Wonder how I get along
Goodbye Papa it's hard to die
When all the birds are singing in the sky
Now that the spring is in the air
Little children everywhere
When you'll see them I'll be there
We had joy, we had fun
We had seasons in the sun
But the wine and the song
Like the seasons all have gone »

Merci de m'avoir écoutée.

Émilie
Marche-en-Famenne (Belgique)

Cette année, il y aura maintenant 11 ans que mon frère nous a quittés...