29 octobre 2009. Je pense à Agathe, à son suicide...

29 octobre 2009. Je pense à Agathe, à son suicide. J'ose le mot, elle n'est ni absente ni partie. Elle n'est pas décédée des suites d'une longue maladie. Elle n'est pas morte dans un accident de voiture. Elle s'est suicidée le mardi 29 juillet 2008. Il s'est écoulé un an, trois mois, et quelques heures depuis cet événement. Ce besoin de précision témoigne de la multitude d'obsessions qui m'habitent depuis l'instant précis de la découverte de son corps. Il m'a fallu tout ce temps pour en comprendre l'étendue. La détresse qui pousse une personne à s'enlever la vie engendre un effet domino. D'innombrables vies, alentour d'elle, subissent des dommages collatéraux s'étendant du choc traumatique jusqu'au profond désespoir pouvant conduire à poser ce même geste irréparable.

Cet événement reste, à ce jour, le plus tragique que j'ai vécu. D'autres deuils ont assombri ma vie mais aucun n'a affecté, de manière aussi absolue, mon physique, mon moral et mon équilibre psychologie en même temps. Le mardi 29 juillet 2008 est devenu mon mardi 11 septembre 2001. Le point de référence, la frontière qui sépare ma vie d'avant le jour fatidique et celle d'après cette sombre journée. Ce deuil affligeant a dévasté ma vie tel un ouragan brisant tout sur son passage. Le geste d'Agathe a créé un immense raz de marée intérieur qui a ébranlé mes fondations et fait remonter à la surface de nombreux démons.

Depuis le printemps, je vivais difficilement et de manière très émotive tous les changements qui s'opéraient dans ma vie. Son départ, le 29 juillet, a surclassé tous les autres. Ce départ définitif a laissé un vide immense, un trou béant dans mon cœur et au creux de mon estomac. Il a changé à jamais ma vie et la couleur de mes mardis. Son geste déterminé, violent, a été sa porte de sortie, sa libération de cet étau de douleur qui lui enserrait le cœur depuis deux ans. Pour moi, il a marqué le début de ma descente aux enfers.

L'aspect ironique dans cette histoire est que de tous mes proches, elle aurait été la mieux placée pour comprendre ce que je vivais, malheureusement, au lieu de partager cela avec elle, c'était d'elle dont je parlais. C'est triste à admettre, mais je comprends mieux maintenant ce qu'elle a pu vivre après le suicide de son fils. Quand elle me disait : « Je suis toute seule », c'était en fait : « Je suis seule avec ma peine ». C'est un fardeau tellement lourd. Je suis bien entourée, choyée et aimée et malgré cela, je me sens seule à porter ce mal. Je commence à réaliser l'ampleur de ce qu'elle a enduré tous ces derniers mois. J'en suis même venue à me dire que finalement elle avait été drôlement forte de tenir le coup aussi longtemps... Cette pensée crée en moi une terrible dualité, si d'un côté je comprends, d'un autre je déteste cette idée. C'est comme admettre qu'elle a eu raison de poser ce geste. Un tiraillement de plus qui s'ajoute à mon remue-méninge déjà difficile à calmer...

C'était un mardi, l'année dernière. Un souvenir lointain et si présent à la fois. Ce moment qui a changé ma vie à jamais ressemblait en tout point à un jour ordinaire au départ. Ce matin-là, j'ai paressé au lit, un peu trop longtemps, peut-être, pour tout ce que j'avais planifié. Malgré la nécessité, j'ai repoussé la coupe du gazon en étirant le petit déjeuner le temps d'écouter un film. Je savourais cet instant. Le calme de la maison m'avait manqué, j'étais absente depuis deux semaines. Quand j'ai trouvé le courage de m'arracher au fauteuil, j'ai commencé ma besogne. Avant même d'être épuisée par ce travail physique, un violent orage a éclaté m'obligeant à abandonner la moitié du terrain à son allure négligée.

Agathe et moi avions convenu, la veille, que j'arriverais pour midi. Nous dînerions au resto et par la suite nous irions signer le bail de son futur appartement. Je l'ai donc appelée pour lui dire que je serais chez elle plus tôt que prévu. Aucune réponse. J'ai recommencé à maintes reprises en me questionnant sur la raison de ces sonneries incessantes et sur l'absence de réponse de sa boîte vocale. Une inquiétude grandissante s'est logée graduellement au creux de mon estomac et mes battements cardiaques se sont accélérés. J'ai quitté la maison avec l'horrible sentiment qu'elle avait eu un malaise. Je la voyais affaiblie, incapable d'atteindre le téléphone pour demander de l'aide. J'ai accéléré sans tenir compte de la limitation de vitesse.

En entrant dans la cour, j'ai eu la douloureuse confirmation, les stores étaient tous fermés. Je continuais tout de même à croire qu'un malaise l'avait empêchée de se lever. En attendant que l'agent d'immeuble m'apporte la clef pour ouvrir la porte, j'ai logé un appel au 911 afin d'exprimer tout haut mes craintes, elle aurait peut-être besoin d'une ambulance pour être conduite à l'hôpital. Ce fut la première d'une longue série de répétitions de mon histoire. Une fois à l'intérieur de la maison, le silence hurlait ce que je redoutais. J'ai vue Agathe inerte dans son lit. Je n'ai pourtant compris son geste qu'une fois le lit contourné. Encore aujourd'hui, je suis incapable d'exprimer, de façon cohérente, les ravages que la vision de cette scène ont produits en moi. Je me souviens de la froideur de sa peau, du désordre dans ses cheveux puis soudain, de la présence d'un policier qui me demande de quitter la chambre.

J'étais étourdie par le tourbillon incessant d'uniformes qui s'activaient autour d'elle et dans la maison. Policiers, ambulanciers, allaient dans tous les sens et ma seule pensée était qu'elle serait très colère car ils avaient tous gardé leurs chaussures. Cette idée était obsédante mais j'étais incapable de leur demander de les enlever. Puis, contre ma volonté, j'ai dû me rendre au sous-sol le temps qu'on sorte son corps de la maison. Malgré mes supplications, ils ont refusé de me laisser la voir.

Il m'est impossible de dire combien de temps s'est écoulé avant que je ne me retrouve seule dans la maison à tenter de comprendre ce qui venait de se passer. Agathe m'avait laissé une lettre sur la table. Je l'ai lue sans parvenir à enregistrer les mots ni véritablement en saisir le sens. C'est en récupérant la copie de cette lettre, quelques jours plus tard, que j'y ai lu l'explication de son geste. Elle m'avait fait ses adieux avant de poser le geste fatal. Un an plus tard, je suis encore extrêmement troublée d'avoir été l'une des dernières et peut-être même la dernière personne à qui elle ait pensé avant de s'enlever la vie. J'ignore encore si je dois en être heureuse, triste ou révoltée...

En l'espace de quelques heures, je suis passée du statut de nièce et amie à celui de liquidatrice de sa succession. Ses dernières volontés étaient claires, aucune exposition, aucun service religieux. Une cérémonie toute simple au salon funéraire en présence de l'urne contenant ses cendres. Je me sentais bousculée. Tout allait trop vite. Il fallait fixer la date des funérailles et tous les détails s'y rattachant. Il m'était pénible de choisir, dans sa garde-robe, les vêtements qu'elle porterait dans sa tombe même si personne ne les verrait à part moi. Aujourd'hui encore, je bénis le ciel d'avoir eu la chance de la revoir quelques minutes avant qu'elle soit incinérée. Son visage paisible, presque souriant, m'a permis de superposer une autre image sur celles que mon cerveau diffusait en continu depuis la découverte de son corps.

Le jour même de son décès, j'ai dû mettre en marche les procédures. Je devais, impérativement, faire disparaître les traces de son geste. Du jour au lendemain, je me suis mise à jongler avec un vocabulaire compliqué. Je concentrais mon énergie sur des démarches ardues qui semblaient délibérément traîner en longueur pour le simple plaisir de nourrir mon impuissance face à tout cela. Je confrontais quotidiennement mes émotions vacillantes à la froideur distante et bureaucratique de mes interlocuteurs. J'avais énormément de difficultés à faire face. Je craignais les décisions à prendre. Chacune d'entre elles semblait capitale pour le bon déroulement du processus de succession et la peur de me tromper était omniprésente.

Une série interminable de va-et-vient chez elle s'est installée dans mon quotidien. Cette espèce de routine plutôt macabre avait pour effet de me rendre malade dès que je passais le pas de sa porte. Une absence oppressante avait pris possession de l'espace. Mon esprit concevait difficilement d'être là, dans son décor, sans elle. Chaque objet était à sa place comme figé dans le temps. Certaines odeurs, certains sons persistaient mais toutes traces de vie avaient déserté les lieux.

Puis le moment, à la fois espéré et redouté, est arrivé. La maison devait être vidée, elle était vendue. Je livrais déjà un rude combat intérieur en me rendant chez elle tous les trois jours mais là, plonger au cœur même de ce qui témoignait de son existence à fait déferler un flot d'effroyables sentiments. J'ai eu l'impression de mettre à sac son intimité. Notre environnement révèle tellement de vérités sur nous qu'il s'exprime fort même après la mort. J'ai trouvé extrêmement déchirant de trier, séparer et mettre toute une vie dans des cartons. J'ai pris conscience, avec immensément de tristesse, que la véritable beauté et la valeur de tous ses objets se trouvait en elle car elle les animait.

À la suite de ces journées très chargées, une certaine paralysie a commencé à m'envahir et à me ralentir dans l'exécution de mes tâches. L'horrible sensation d'oublier quelque chose d'important s'était logée dans un coin de mon esprit. Malgré tous mes questionnements, mon esprit refusait catégoriquement de m'aiguiller dans une direction ou dans une autre. Une série d'images discordantes faisait obstacle à une vision éclairée de ma situation.

L'angoisse et l'insomnie étaient devenues mes compagnons de route. Je me sentais dépossédée, je ne savais plus qui j'étais, ce que je voulais et où je m'en allais. Je me baladais en permanence avec un énorme nuage chargé de grisaille au-dessus de la tête. Je percevais, par intermittence, les rayons du soleil mais ni leur lumière ni leur chaleur ne parvenaient jusqu'à moi. J'aurais voulu me rouler en boule et m'endormir jusqu'à ce que tout soit réparé à l'intérieur de moi.

Un mardi de mars, pour la première fois depuis son suicide, j'ai ressenti de la colère envers Agathe. Cette situation était absurde, je ne devais pas m'occuper de sa succession maintenant. Cela aurait dû se faire dans vingt ou vingt-cinq ans. Ce sentiment a alimenté, une grande partie de la journée, une source intarissable de larmes. J'étais allée chez son comptable et il me manquait des papiers pour pouvoir avancer dans le dossier. J'étais tellement fatiguée que tout me semblait une corvée insurmontable. L'idée de devoir passer des heures au téléphone pour expliquer une Xème fois son histoire et le pourquoi de ma démarche me paraissait énorme comme l'ascension de l'Everest. Dès que je me suis dite à haute voix : « Tout ça c'est trop pour moi », j'ai été envahie par un épouvantable sentiment de culpabilité, pire encore, de lâcheté car je venais de donner raison à tous ceux qui affirmaient que jamais elle n'aurait dû me laisser une telle responsabilité sur les bras. Agathe croyait en moi, l'ennui c'est que moi, j'étais habitée par le doute et l'angoisse d'échouer.

J'avais l'effroyable impression d'être en train de me noyer. Je voyais des gens marcher sur la plage mais personne ne regardait dans ma direction. J'avais beau crier et faire des signes, le ressac m'éloignait du bord et je m'enfonçais un peu plus à chaque mouvement. Je paniquais à l'idée que ce tourbillon puisse m'entraîner dans les bas-fonds.

À mesure que les semaines passaient, ma tâche devenait de plus en plus pénible. Chaque situation semblait sans issue. Je me battais contre des moulins à vent géants. Je me sentais perdue, j'avais égaré tous mes repères. Ma boussole intérieure ignorait où était le cœur magnétique. Elle tournait en rond et pointait trop souvent vers la tête un peu folle encombrée d'idée et d'images. La rationalisation des faits me gardait dans une tempête de pourquoi sans réponse. L'immersion dans le flot des émotions m'entraînait dans les abîmes du désespoir. Le besoin impératif de sortir de ma tête et de mon cœur, afin d'échapper à la douloureuse réalité, devenait criant. J'avais le moral à zéro.

Certains jours, j'en voulais à la terre entière. C'était sans doute plus simple que d'en vouloir à une personne en particulier. Les larmes jaillissaient sans que je n'aie l'ombre de la lueur d'une explication. En fait, j'en avais sans doute trop et j'ignorais à laquelle faire porter le chapeau. Je souhaitais pouvoir transférer tout mon mal-être dans la cour de quelqu'un d'autre afin de trouver un peu de repos et de paix intérieure. Je me berçais d'illusions. La vérité est que j'avais grand besoin de prendre une pause, une pause de moi...

Je me sentais impuissante face à toutes ces fluctuations d'humeur. Une douleur me tordait les entrailles en permanence et j'ignorais quoi faire pour qu'elle disparaisse. J'en avais assez de ce bruit infernal dans mes oreilles. Il n'avait pris aucun répit depuis des mois, même qu'il s'amplifiait de jour en jour depuis le suicide d'Agathe. Et à mon grand désespoir, il est toujours là, en activité, vingt-quatre heures par jour. Conséquence possible due au choc.

J'avais envie d'être serrée très fort par des bras protecteurs et accueillie par un cœur bienveillant. J'avais besoin de la douce musique de mots rassurants tels « tout ça va bientôt prendre fin ». Je voulais croire que je goûterais à nouveau à la joie d'un bonheur réel qui me ferait vibrer autant que ce mal me faisait souffrir. Hélas, je manquais de foi en moi et en mes possibilités. Je n'arrivais pas à percevoir l'avenir, comme s'il n'existait pas, comme si je n'existais pas. J'avais peine à m'endurer et pourtant, je ressentais l'absence et le vide autour de moi. Je dérivais sans que quiconque sache où j'étais rendue, moi y compris. Je me sentais abandonnée.

L'évasion m'était devenue nécessaire. J'ai alors traversé quelques phases de boulimie cinématographique. Je suis restée prostrée, des jours entiers, devant la télé, à manger des « chips » en pyjama. J'ai écouté la vie et les histoires des autres jusqu'à l'atteinte, plutôt pathétique, d'un état d'ivresse sentimentale. Tranquillement, j'ai commencé à avoir de sérieux doutes sur les vertus bienfaitrices de cette thérapie. Indéniablement, la culpabilité me taraudait encore. Constat navrant, je n'avais rien fait de « constructif » depuis bien longtemps. De plus, lorsque j'ai trouvé la parcelle de courage nécessaire pour mettre les pieds sur la balance, j'y ai lu les résultats de mes abus et de mon inaction. Cette échappatoire à ma souffrance intérieure avait en fait accentué ce bon vieux réflexe de me « taper dessus ».

J'aurais pu rejeter la responsabilité de mon état sur tous ces événements, mais pour être honnête, ma joie de vivre avait pâli bien avant le suicide d'Agathe. L'immense vague émotive qui m'a jetée au sol n'a fait qu'accélérer le processus qui serait devenu inévitable tôt ou tard. Mon existence, sous bien des rapports, ne tenait que par quelques fils ténus. Depuis que je suis toute jeune, mes actions, mes réactions ont été motivées par la peur de perdre. Aujourd'hui, Agathe n'est plus là mais je sais, au fond de moi, que je n'y suis pour rien pas plus d'ailleurs que pour tous les départs auxquels j'ai été confrontée depuis plus d'un an. Tous ces deuils me confirment une réalité, je n'ai de prise que sur moi-même. Voilà une évidence plus facile à dire qu'à faire...

J'ai cru, à tort, pouvoir puiser dans la sympathie des autres, la force et le courage nécessaire pour surfer sur ce raz de marée émotionnel. Au lieu de cela, je me suis retrouvée au fond de l'eau, le corps convulsé à chercher désespérément mon air. Le regard et l'opinion de la majorité des gens m'ont renvoyé l'image de la faiblesse, de l'appesantissement sur la situation et de la propension à me vautrer dans le malheur. Des liens que je croyais indestructibles se sont brisés. Des distances se sont prises et des silences se sont installés. L'ignorance et l'incompréhension peuvent être parfois les bourreaux les plus cruels.

J'avais beau me répéter que tous ces changements s'effectuaient hors de mon contrôle, ils restaient douloureux. Ils étaient un gouffre sans fond où se perdait mon énergie car je n'avais de cesse d'y chercher ma responsabilité. Je repassais en boucle certaines conversations, je ressassais les remarques faites sur le geste d'Agathe, sur ma façon d'être et d'agir depuis son suicide. Plus j'essayais d'avancer dans cette mer agitée, plus j'avais le cœur et l'âme égratignés par les récifs. Elle n'était pas ma mère, je n'étais pas son enfant, alors, pour une majorité de gens, c'était seulement ma tante. À leurs yeux, il n'y avait aucune raison justifiant que je sois ainsi affligée par son décès et encore moins que je me retrouve en charge de sa succession. Pour différents motifs, Agathe et moi avons vécu une amitié plutôt discrète, sa mort, elle, a révélé la profondeur de cette amitié.

Il aura fallu tout ce temps à mon esprit pour concevoir l'inconcevable, à mon cœur pour admettre l'inadmissible et à tout mon être pour parvenir un tant soit peu à accepter l'inacceptable. Il serait même plus juste de dire que j'apprends à cheminer dans l'inacceptable. Il s'est écoulé quatorze mois avant que je prononce, pour la première fois, les mots douloureux « je t'en veux ». J'ignore lequel de ces sentiments, la loyauté, la honte, l'orgueil ou la gêne, m'en avait empêché auparavant. Peut-être était-ce un mélange de tout ça ? J'ai connu avec Agathe une amitié, je dirais même un amour inconditionnel. Elle m'a offert ce que j'ai recherché durant toute ma vie et abruptement, sans avertissement, tout a pris fin. Je lui en veux de m'avoir abandonnée en emportant avec elle cette tendresse, cette affection, cette compréhension dans lesquelles je trouvais douceur et réconfort.

Elle m'a tant appris, tant donné d'amour que le manque m'apparait impossible à combler. J'ai eu si mal à lire ses mots sans entendre sa voix, à toucher ses objets sans y retrouver sa chaleur. Je l'ai pleurée, pendant des mois, comme si j'étais la seule à ressentir douloureusement son décès. Par crainte qu'elle tombe dans l'oubli, je l'ai gardée vivante dans ma peine. C'est terminé.

Je détache, aujourd'hui, ce fil de tristesse qui me relie à elle. Je lui rends sa liberté. Dorénavant, je vais poursuivre mon chemin, consciente et encore souffrante de son absence mais, délestée d'un fardeau inutile. Je conserve, dans mon paquetage, uniquement de la reconnaissance pour tout ce que nous avons eu le privilège de vivre toutes les deux. Je suis à jamais liée à elle par le cœur et par l'esprit. Merci Agathe pour tout ton amour...

J'ai entrepris une longue et difficile ascension vers la lumière. En chemin, j'ai fait des découvertes importantes mais, pour l'instant, j'ignore de quelle façon je peux les utiliser. Il m'arrive encore de faire des cauchemars à propos de cette journée du 29 juillet 2008. Pourtant, j'avoue, avec soulagement, que je me sens de mieux en mieux chaque jour. Peu à peu, je me rapproche du rivage confiante d'y parvenir sans m'échouer. Tout doucement, trop lentement sur mon échelle de patience, ma fatigue s'atténue. Je prends de plus en plus conscience d'être habitée par des forces intérieures nouvelles et positives. Elles remplacent peu à peu l'angoisse et la peur qui s'étaient nichées au creux de mon estomac depuis des mois. Parfois, sans avertissement, je suis étreinte par une soudaine et immense tristesse. Une fois la peine passée, je retrouve un équilibre un peu précaire, c'est vrai, mais qui m'apporte tout de même un certain bien-être. Le sentiment d'abandon cède graduellement sa place à l'ennui. La joie de vivre se réapproprie patiemment l'espace qu'elle a déjà occupé et compte même en prendre un peu plus qu'avant. J'ose à peine le dire tout haut, je manque un peu de pratique, mais je parviens, de temps en temps, à éprouver de la fierté quand je regarde le chemin parcouru au cours des derniers mois.

Je repense à tout cela aujourd'hui car cette date est à marquer d'une pierre blanche. C'est la deuxième année de suite qu'Agathe m'offre un magnifique cadeau pour mon anniversaire. L'année dernière, j'étais dans le bureau du notaire pour signer l'acte de vente de sa maison. Aujourd'hui, je savoure le fait d'avoir réussi à traverser tous les obstacles et à terminer les formalités, dans les délais légaux, pour sa succession. Je pousse un énorme soupire de satisfaction. J'ai douté tellement souvent de pouvoir y arriver.

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29 décembre 2009. C'est curieux tout de même ces concordances de chiffres et de jours... Juste avant de me remettre à l'écriture de ce texte, j'ai pris un bain rempli de bulles du savon « Biotherm » d'Agathe. J'en fais un usage parcimonieux depuis plus d'un an. J'ignore d'ailleurs pourquoi je le ménage autant. Chaque fois que je l'utilise, l'odeur me ramène chez elle et aux beaux souvenirs de ces quelques jours passés ensemble. Je porte sa robe de chambre bleue, la plus douce de toutes ses robes de chambre. Je suis une incorrigible sentimentale, c'est vrai, mais le jour où j'ai pris la décision de garder celle-là pour moi, j'ai posé un petit geste d'amour envers moi.

Cette remise en question amorcée à la suite du suicide d'Agathe prend désormais des formes nouvelles. Le sens de la vie et de la mort arbore un visage différent. Les images qui alimentent cette réflexion sont toutes issues du même point d'origine, la vision d'Agathe seule, dans sa vie, dans sa maison, dans son lit, dans sa mort. Inévitablement, je transpose dans ma propre existence. Je ressens le besoin impérieux de définir, de régler, d'organiser mon existence pour ceux qui me survivront.

J'aime à croire que j'ai du temps devant moi. Je sais que pour parvenir à instaurer une véritable paix intérieure durable, je dois faire le ménage dans ma tête et dans mon cœur afin de me libérer des démons du passé. Le départ d'Agathe a créé un « ground zero » sur mon parcours de vie. Je suis cependant consciente que bien des difficultés entravaient mon bonheur depuis longtemps. Elles existaient et avaient entrepris leur travail de démolition bien avant un certain mardi l'année dernière. À partir de maintenant, c'est à moi de jouer. Ma mission, et je l'accepte, est d'apprendre à être bonne, patiente et tolérante envers moi. Voilà tout un défi à relever à l'aube de cette nouvelle année.

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18 janvier 2010. Il y a deux ans, aujourd'hui, le fils d'Agathe s'enlevait la vie. Son geste a amorcé une série d'événements qui allaient chambouler mon existence. Cette épreuve m'a permis de découvrir la vraie nature des gens qui m'entourent. Elle a fait en sorte que ma route croise celle de personnes formidables. Elle a mis à l'avant plan les valeurs fondamentales qui sommeillaient en moi.

Je constate, en faisant le bilan des vingt-quatre derniers mois, que j'ai traversé une succession de vagues tumultueuses. Je réalise cependant, avec soulagement, que je prends peu à peu du recul face à certains de ces événements. La mer se calme et lentement, je mets le cap sur l'horizon couleur d'espoir...

Christiane
Québec (Québec)

Le jour où j'ai rencontré cette personne, je suis née...