18 mois plus tard...

18 mois plus tard... Le tour du calendrier est fait depuis plusieurs mois déjà... le calendrier « sans lui ». J'étais consciente du fait que la première année « sans » est la pire, pour être déjà passée par là après le décès de mon père. C'est vrai, du point de vue des souvenirs que chacun a de chaque événement spécial... « il » était là l'an dernier et nous avions fait ça, et on se souvient de ses sourires, ses paroles... et ça fait mal de penser que plus jamais « il » ne sourira comme ça, plus un mot, jamais... Et j'ai repassé toutes les dates importantes comme ça. J'ai aussi repassé les souvenirs qui font mal.     J'ai énormément pleuré, j'ai analysé de mon mieux mon passé avec lui... pour en arriver au présent, sans lui. Il ne me reste que mes souvenirs, mes certitudes, ce que j'ai vécu, il n'y a que moi qui le sache... mais cela, jamais personne ne pourra me l'enlever. Si j'ai encore des regrets, j'ai compris que, les choses étant ce qu'elles étaient, je n'avais pas vraiment le choix. Je sais qu'il a aussi ses propres regrets de son côté là-haut. Nous nous sommes aimés bien plus profondément avec ce que nous avons su traverser ensemble, malgré les regrets, les douleurs inutiles souvent. Car nous n'avions pas l'amour facile. Il avait tellement de cicatrices au cœur à guérir, et nous avons dû subir la méchanceté et la jalousie pendant nos années ensemble, de là les chagrins inutiles.

Mais je crois que ça devait être comme ça pour nous, il ne me sert à rien de me répéter « si seulement » indéfiniment... Ma réalité, c'est ce que la vie m'a donné et ce qu'elle m'a permis de vivre. Le privilège d'avoir été sa femme à lui, de lui avoir donné, avec nos filles, le seul amour qu'il aura connu dans sa vie. Et si ce n'était pas toujours facile, je sais que j'ai fait de mon mieux avec ce que j'avais en moi. Je sais que notre amour étant ce qu'il était, nous avons fait de notre mieux. Et par-dessus tout, je sais que jamais je ne l'ai abandonné, jamais je n'ai cessé de l'aimer... même si ce n'était pas toujours facile. Ce que je lui ai donné avec tout mon amour, il l'a en lui pour l'éternité. Et lui vivra toujours en moi, tant que moi je vivrai.

Je reste avec nos trois filles toute seule... Là, il y a un bon et un mauvais côté aussi. Je suis très consciente de ma chance et de mon bonheur de les avoir auprès de moi. Si j'ai traversé ces longs mois, c'est grâce à elles, pour elles seules. J'ai toujours la crainte qu'il ne leur arrive malheur aussi un jour, car à présent, je sais que la vie est très fragile... comme une flamme qui s'éteint au moindre courant d'air. Je protège leur flamme de toute mes forces et je les aime de toute mon âme. Je les aime pour deux. Mais, il y a aussi un autre facette à ce bonheur... je porte seule la responsabilité de trois vies. Elles dépendent de moi seule à présent. Il y a des jours où c'est lourd à porter, très lourd. Et il y a les inévitables disputes entre elles, les cris, les jalousies... et les soucis financiers que je porte seule afin de subvenir à tous leur besoins. Et le chagrin de ne pouvoir leur offrir autant qu'avant, de ne pas leur offrir comme leurs petites copines qui, elles, ont deux parents. Je fais de mon mieux, elles passent en premier, bien avant moi, mais je ne peux pas faire l'impossible. C'est difficile d'écouter leurs reproches sans avoir envie de disparaître pour de bon... même si je sais qu'elles ne se rendront compte de cela que bien plus tard, lorsqu'elles auront des enfants à leur tour. Mais ça me fait mal, au présent, lorsque j'ai tout donné, tout fait pour les rendre heureuses et fières et que ce n'est pas suffisant encore, parce que ce n'est toujours pas « comme avant », ce n'est pas comme la copine...

Je pleure de désespoir, de fatigue, je me sens usée et fatiguée de plus en plus. Je n'ose pas dire à ceux qui me répètent la chance que j'ai d'avoir au moins mes trois filles... que parfois je n'en peux plus de leur disputes, de leur cris et insultes, que je suis épuisée. L'amour me permet juste de continuer tant que je tiendrai debout, mais je m'épuise, dans ma tête, dans mon cœur, dans mon corps... je suis fatiguée, tellement fatiguée. Et la responsabilité de leurs trois vies, de leur avenir... je ne cesse jamais de m'inquiéter, jamais. Lorsque je me couche enfin la nuit, je repasse encore dans ma tête les frais que je devrai assumer seule et comment y arriver.

Je ne sors sans mes filles que très rarement à présent. Heureusement que j'ai quelques amies vraiment sincères. Et je regarde les familles, les couples... mon passé. À présent moi, je suis monoparentale, je suis veuve... déjà. J'ai mis du temps à regarder la vérité en face, à l'accepter. Je ne sais pas si je l'accepte encore... mais maintenant je sais, c'est fini, il n'est pas parti faire des courses ou même pour quelques semaines... il est parti pour toujours. Rien ni personne ne peut le faire revenir, il est décédé.

J'ai encore mal, très mal parfois. C'est même encore parfois intolérable ce vide... mais je me suis refait des souvenirs « sans lui », des souvenirs avec ce vide en moi. La douleur de son absence fait maintenant partie de moi-même. J'ignore si elle m'a ajouté ou enlevé quelque chose en moi, mais je sais qu'elle m'a changé pour toujours, je ne suis plus la même. Je m'efforce de m'habituer à cette souffrance, ce vide en moi. Un peu comme après le décès de mon cher papa il y a déjà 13 ans... Je me suis habituée à la douleur de son absence, car plus jamais elle ne me quitte depuis, mais il n'a jamais cesser de me manquer, jamais.

Aujourd'hui, ma seule consolation s'il en est une, c'est de les savoir ensemble de l'autre côté, les deux hommes de ma vie, de mon cœur. Ils sont ensemble au moins. J'ai toute confiance en mon père, c'était l'homme et le père le plus merveilleux que la Terre ait porté à mes yeux. Il savait ce que l'amour veut dire, il m'a donné tellement d'amour et de tendresse que j'en garde des trésors dans mon cœur, et je sens toujours sa tendresse, alors il prendra soin de mon mari pour moi, en m'attendant. Je sais qu'il m'aidera à supporter les épreuves que la vie me réserve encore, il me portera si je suis épuisée... car je sais qu'il veille sur moi, hier, aujourd'hui et pour toujours.

Josée
Saint-Jean-Chrysostome (Québec)

Petit homme