Une cérémonie à saveur laïque tenue dans une église

Elle venait de perdre sa maman. C'est une amie à elle qui m'a téléphoné. Voilà qu'elle me demandait d'animer les funérailles de sa mère... dans une église ! Prise de court devant son désarroi, j'ai accepté. Par sympathie. J'avais moins d'une semaine pour organiser la cérémonie. Mon horaire a été bousculé, mais surtout mon cœur et mes repères.

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Des funérailles en église, c'était le souhait de la défunte, une femme libre et avant-gardiste qui voulait du sacré... sans les sacrements. Elle tenait aux violons, à l'orgue, aux grandes voix, au côté solennel et spirituel de l'église... mais à une cérémonie majoritairement laïque.

Mais comment ouvrir les portes de la sainte institution lorsqu'on est une jeune femme, laïque de surcroît ? Première étape : contacter le Père Benoît Lacroix, un homme reconnu pour sa grande ouverture d'esprit.

L'Église accepte, à cause de la présence du Père Lacroix, mais non sans hésitation. Et je peux aisément en comprendre les raisons. Un prêtre m'a déjà confié se sentir comme un « guichet unique du sacrement » : on appuie sur le bouton du sacrement voulu et hop, on reviendra pour la confirmation du petit, le mariage de Mélanie ou les funérailles de grand-maman. Peut-être à la messe de minuit, si le « show » est bon !

Que vient-on y chercher ? Une architecture qui nous élève et nous fait toucher à l'intangible. C'est l'un de nos rares lieux collectifs, qui nous rattachent à notre communauté et nous donnent l'impression d'appartenir à une tradition ancestrale. En ce sens, son pouvoir d'attraction est indéniable.

Comment jumeler les dernières volontés de la défunte tout en respectant le caractère sacré du lieu ? L'entente prise avec le Père Lacroix fut la suivante : par la lecture d'une prière et d'un texte sacré, il serait là pour le salut de l'âme de la défunte, alors que mon rôle serait d'honorer sa mémoire auprès des vivants en coordonnant tout le reste. Ainsi, plutôt que la cérémonie religieuse habituelle, ce serait une cérémonie-hommage.

Fallait-il que ça se passe à l'église, me direz-vous ? Comme le dit Raymond Lemieux, professeur retraité de la Faculté de théologie et de sciences religieuses à l'Université Laval, passer par l'église, « même quand on se pense incroyant, c'est pour beaucoup inscrire un état de fait dans une certaine tradition... C'est un lieu dans lequel on cesse d'être seul, ne serait-ce que parce qu'il évoque les générations de ceux qui y sont passés, dans des circonstances semblables. »

En 1997, la cérémonie laïque tenue dans une église pour commémorer le décès de la comédienne Marie-Soleil Tougas a causé une petite commotion. Sous la houlette de Gregory Charles, les proches de la comédienne ont organisé des funérailles laïques qui laissaient davantage place à l'évocation de souvenirs. Au lieu du rituel catholique, on y a lu des poèmes, écouté du Ferland, du Brel, du Ferré, chanté sur des airs de gospel.

Quel autre lieu collectif avons-nous ? Le centre commercial ? Alors, on se tourne quand même vers l'église au moment de passer les pieds devant. N'est-ce pas contradictoire alors qu'on n'y a pratiquement pas mis les pieds de notre vivant ?

Ainsi, les funérailles civiques du peintre Jean-Paul Riopelle et du grand communicateur et indépendantiste Pierre Bourgault, qui ont eu lieu dans des lieux de culte consacrés, ont soulevé une fois de plus notre relation ambiguë avec la religion catholique. Si le signataire du Refus global n'avait pas choisi l'église (une décision prise par une proche, qui a suscité la controverse dans la famille), l'un de nos plus grands tribuns, pour sa part, a lui-même désigné la Basilique Notre-Dame dans ses dernières volontés. On a pu observer ce même paradoxe lors des funérailles de Claude Jutra ou de Gaston Miron.

Le jour « F »

En ce petit matin froid des funérailles, Benoît Lacroix prononce les mots hommage – gratitude – souvenirs – prière – musique. J'explique mon rôle. Que la défunte voulait à la fois une cérémonie qui les rassemble et lui ressemble. J'inclus les enfants dans le rituel de l'allumage des bougies. J'ai choisi un cierge en or, fait de cire d'abeille, provenant de sa maison. J'en explique la symbolique. J'enchaîne avec mon « homélie ». Je parle de ses modèles et j'invite à l'avant ceux et celles qu'elle a influencés à son tour.

Après les lectures succinctes du Père Lacroix, les témoignages, la musique et les chants – magnifiques – s'entremêlent. En finale, un rituel créé de toutes pièces. Des enfants de la famille remettent à l'assistance une pièce de vingt-cinq sous pour donner plus tard à un itinérant, afin de commémorer un geste qu'accomplissait souvent leur chère amie, mère et belle-sœur. J'invite les gens à signer leur carte de don d'organe, rappelant que c'est ainsi qu'elle a eu, temporairement, un second souffle de vie. Je conclus la cérémonie par des citations d'écoliers sur la mort et le passage du temps. Petit moment d'émotion. Elle était enseignante.

Bricolage, que tout ceci ? Certains chercheurs le pensent. D'autres croient plutôt qu'on fait face à une « privatisation » du sacré, en passant les célébrations religieuses dans notre moulinet personnel. Oui, nos rituels collectifs ont fondu comme peau de chagrin.
Et si c'était notre échelle qui avait changé, à l'ère du sur-mesure, de la segmentation extrême et des clans spécialisés ? En réponse à notre société éclatée, individualiste et multiculturelle, on pige allègrement ici et là pour composer nos propres rituels.

Bien que la religion chrétienne dispose d'un savoir-faire en matière de rituels, beaucoup de fêtes chrétiennes sont d'origine païenne. Il y a plus de 200 ans, Voltaire n'écrivait-il pas : « On voit évidemment que toutes les religions ont emprunté tous leurs dogmes et tous leurs rites les unes des autres. »

Dans cet effort de régénération des rites, soyons conscients qu'on n'invente rien, mais qu'on recycle et qu'on adapte, parfois sans le savoir. On puise en quelque sorte au grand réservoir de l'humanité. Mais, à mon avis, ces ébauches sont préférables au vide absolu, d'une tristesse inouïe. Beaucoup de nos contemporains décident de passer outre la cérémonie funéraire : crémation et merci bonsoir ! Mais comment ne pas y voir là un manque terrifiant ?

Nous traversons une période charnière, dans laquelle nous redéfinissons nos rites collectifs et, par extension, notre société. Que faire, en attendant ? Voilà un vaste chantier. Travaillons-y ensemble, chacun dans notre force.

Benoît Lacroix croit que nous finirons par trouver le ton et la manière : « À mon avis, ce n'est pas une dispersion malhabile, c'est plutôt une création spontanée qui a beaucoup de valeur pour l'avenir de l'humanité. »

Nourrissons notre soif des rituels. Faisons en sorte qu'ils s'incarnent dans la réalité d'aujourd'hui, à la lumière de ce que nous sommes devenus et de nos aspirations modernes, sans balayer toutefois du revers de la main toute la richesse de notre héritage culturel. Beau défi !

Par Chantal Dauray
Octobre 2009
Photo : Pixabay

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Chantal Dauray et l'auteure de Réinventez vos cérémonies, fêtes et rituels ! (Stanké),
de la collection Célébrons ! (Publistar) et fondatrice du site NosRituels.com

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