Stéphane Crête : À la recherche du sens perdu

Sa vie professionnelle nous a habitués à élargir nos horizons, à voyager, entre autres, Dans une galaxie près de chez vous. Qui aurait cru que sa vie personnelle pouvait nous mener encore plus loin : aux frontières de l'impalpable, aux portes de la mort. Un sujet qui le fascine à tel point qu'il a entrepris une véritable quête sur le sens à donner aux rites qui s'y rattache. Bien que Stéphane Crête soit une personne pour qui le silence est précieux, il a généreusement accepté de partager la richesse de ce qui l'anime dans sa démarche rituelle. Une démarche qui démontre son désir de marquer dans le temps les grands événements de la vie et qui met en lumière l'importance qu'il accorde à sa communauté. C'est avec toute la simplicité d'un homme « zen » qu'il nous a chaleureusement reçus chez lui.

Vous avez réalisé un documentaire sur l'industrie de la mort l'année dernière. Y a-t-il un contexte particulier qui vous a incité à choisir ce sujet ?

J'ai été approché par une maison de production pour réaliser un documentaire sur un sujet de mon choix. J'avais en tête l'industrie funéraire. J'ai toujours été intéressé par les cérémonies et les rituels en général. En tant que comédien, j'ai un regard qui s'attarde à la mise en scène. Je suis arrivé avec mon projet en me disant qu'ils refuseraient vu que le sujet était trop rébarbatif, mais au contraire, ils ont accepté tout de suite. Mon idée était d'amener une fin qui se situerait autour du sens à donner aux funérailles. Comme artiste, j'aime divertir, mais j'aime aussi à l'occasion faire quelque chose qui a une portée sociale. Dans ce cas-ci, je suis content parce que j'ai réussi à faire un amalgame des deux. Le résultat n'est pas sévère et en même temps on y apprend suffisamment de choses sur ce qui entoure la mort. Ça amène des réflexions qui font cheminer les gens. D'ailleurs, après la diffusion, je peux vous dire que Canal D a reçu beaucoup d'appels et que j'ai eu des commentaires d'auditeurs me disant que l'émission les avait aidés à vivre leur deuil.

Que retenez-vous de ce documentaire ?

Au-delà du fait que le travail de réalisateur est énorme, j'ai démystifié complètement le monde de l'industrie funéraire et j'ai vu à quel point c'était un lieu mercantile, une « business » comme une autre finalement. J'ai réalisé aussi que je n'étais pas le seul à sentir le besoin de donner un sens aux rites funéraires. J'ai découvert différentes façons de penser et ça m'a fait du bien de voir que d'autres personnes cherchaient aussi à combler ce besoin.

L'importance des rites funéraires a été soulignée par certains intervenants. Y a-t-il un rituel qui vous interpelle plus particulièrement et que vous aimeriez retrouver à vos funérailles ?

Dans le documentaire, je trouve intéressante une réflexion de M. Alain Leclerc [NDLR : directeur général de la Fédération des coopératives funéraires du Québec] : il dit que ce ne sont pas nos funérailles, mais les funérailles de ceux qui restent. Je suis encore en train de réfléchir là-dessus. En même temps, je regarde ce qui se fait de signifiant tout en étant sobre. C'est certain que je voudrais qu'il y ait du sens, que ce ne soit pas juste un party ou une cérémonie austère. Dans la vie, je suis quelqu'un qui prend beaucoup de photos, autant des photos artistiques que des photos de familles, d'amis, d'enfants qui grandissent. Au moment de mon décès, j'aimerais que mes photos soient mises à la disposition de tous, qu'on les éparpille et que ceux qui les veulent puissent les prendre. C'est une de mes volontés.

Ce projet de documentaire a-t-il provoqué des retombés dans votre vie ?

Sur l'industrie funéraire comme telle, ça m'a conduit à donner une conférence où j'ai pu parler de mon point de vue lors du congrès de la Fédération des coopératives funéraires du Québec l'an dernier. Par la suite, je suis devenu membre de la nouvelle coopérative funéraire de Montréal avec l'intention de trouver une manière de m'impliquer, d'apporter mon grain de sel, même si pour l'instant c'est encore embryonnaire. Par ailleurs, comme le sujet a éveillé un intérêt chez des gens qui ont envie de se mettre en action, je vais bientôt aller visiter un cimetière qui est possiblement à l'abandon ou à vendre. Je veux voir si légalement il n'y aurait pas moyen de se l'approprier pour avoir un lieu où on pourrait faire des rites plus personnalisés. Savoir que je ne suis pas seul à vouloir amorcer un mouvement m'a donné confiance dans l'aide qu'on peut apporter pour répondre à un besoin de sens de plus en plus présent.

C'est quand même inhabituel, cet élan autour de la mort. Y a-t-il eu un élément déclencheur qui a suscité cet intérêt ?

Un jour, une de mes grandes amies est décédée. Il y avait déjà eu d'autres décès dans ma famille, comme celui de ma grand-mère, mais j'étais préparé. Par contre, qu'une amie de mon âge meure m'a vraiment donné un choc. C'était la première mort dans mon entourage d'amis. Alors qu'on s'attendait à tous se voir vieillir, notre cercle commençait déjà à s'effriter. Ce fut tout un choc pour moi. Puis, lors des funérailles, j'ai été plutôt insatisfait de la cérémonie à l'église. Le curé ne savait rien d'elle et y allait avec des formulations toutes faites. Ça m'a laissé sur ma faim. J'avais l'impression que mon deuil n'avait pas été comblé par cette cérémonie. Quelques mois plus tard, j'ai essayé de faire une sorte de rituel sauvage alors que je n'avais pas beaucoup de connaissances là-dedans. J'ai invité tous mes amis à la campagne, on a fait un feu, on lui a écrit des petits mots et on les a brûlés dans le feu. Plusieurs photos d'elle étaient placées dans un petit cabanon tout près. Tout s'est fait très simplement et de façon spontanée. J'ai senti qu'on avait répondu à un besoin, mais en même temps j'aurais aimé être encore plus organisé, être outillé pour prendre en charge le déroulement.

Vous ressentiez un élan pour aller plus loin ?

En fait, parallèlement, j'étais en quête spirituelle. Je vivais deux choses différentes, mais qui se côtoyaient en même temps : un désir de connaissance de soi mêlé à un désir d'implication sociale face aux rites. Lors de la cérémonie de mon amie, certains des enfants qui étaient présents n'avaient jamais mis les pieds dans une église. Ils voyaient un monsieur en robe longue qui balançait de l'encens et ils ne comprenaient rien à ce qui se passait. Je me suis dit : ouf, on est loin, là! Quand nos enfants vont grandir et mourir, l'église aura de moins en moins d'impact sur eux parce qu'elle sera moins utilisée comme lieu de retrouvailles. Qu'est-ce qu'on fait avec ça? À l'époque, je pensais qu'il n'existait rien en dehors de l'église. Il fallait qu'il y ait quelque chose, il fallait réinventer sans dénigrer le catholicisme, sans jouer à l'ésotérisme en faisant brûler des plantes médicinales. C'était un gros défi. La peur des gurus et des sectes amène beaucoup de préjugés. C'est pourquoi il faut trouver un équilibre, trouver la place pour des funérailles qui nous ressemblent et ce n'est pas évident.

Qu'avez-vous fait pour approfondir votre démarche ?

J'ai suivi une formation de deux ans sur les rituels avec l'école Ho Rites de Passage. Exactement ce dont j'avais besoin. Cependant, une des réflexions qui m'a le plus habité pendant ce temps de formation était ce que j'appelle la « traduction », car on était dans un monde plus près du chamanisme et je me voyais mal faire appel à l'Esprit du Nord pour une cérémonie avec ma gang. L'Esprit du Nord, ça ne leur dit rien. Alors où est la limite, comment faire pour traduire, pour adapter, quel angle dois-je prendre? Quand on me demande d'agir en tant que célébrant, j'essaie de faire des célébrations qui ont du sens sans avoir à me déguiser avec des plumes ou une toge. Je cherche l'entre-deux pour que ce soit bien reçu sans être ni « flyé » ni « platte ».

Lorsque vous observez les rites d'adieu des autres cultures, quelles ressemblances voyez-vous avec les nôtres ? Qu'y a-t-il d'universel dans les rituels d'adieu ?

Ce qui revient le plus souvent est le besoin de se rassembler, le soutien de la communauté. Être ensemble fait du bien et c'est ce je vois de plus commun entre les cultures. Mais j'ai l'impression que l'autorisation de la peine est plus grande dans certaines communautés. Ici on est plus du genre « reviens-en », on ne se donne pas le droit de pleurer bien longtemps, il faut vite retourner travailler.

Qu'est-ce qui vous frappe le plus dans l'évolution des funérailles que nous connaissons au Québec ?

Actuellement on est dans une phase « essai, erreur », on est en train de chercher la nouvelle affaire. C'est pas toujours heureux, ça donne parfois des résultats excentriques. Et, comme dans tout phénomène de société, il y a une récupération économique qui se fait. Certaines compagnies en profitent pour vendre des vidéos souvenirs ou des montages photo qui sont envoyés comme cartes de remerciement. C'est tout juste s'il n'y a pas une case à gratter pour avoir le parfum du défunt... Parallèlement, même si ça bouge lentement, je sens aussi un petit mouvement lié à tout ce qui est écologique, comme des cimetières-forêts par exemple.

Et les cimetières virtuels, qu'en pensez-vous ?

Dans l'ère virtuelle que l'on connaît, ça va avec le goût du jour. Je n'ai rien contre s'il y a en plus un lieu physique pour se recueillir. Sinon, il manque quelque chose au niveau des racines.

Plusieurs rituels funéraires traditionnels sont disparus ou sont en voie de l'être. À vos yeux, sommes-nous en train de perdre quelque chose de précieux ?

C'est sûr qu'il faut être contemporain, s'actualiser avec la façon dont on vit maintenant. Néanmoins, je trouve ça bien de marquer la mort par un temps d'arrêt, de l'identifier dans le temps. Et c'est probablement ce qu'on a perdu de plus précieux : le temps. Aujourd'hui tout se fait vite : vite à l'hôpital, vite au salon funéraire, vite à l'Église. Le lien avec la responsabilisation familiale et sociale s'est coupé. L'État a pris le contrôle du corps qui doit être embaumé rapidement. Ce n'est pas hygiénique que ton vieux père demeure à la maison pendant deux jours pour que les gens puissent se recueillir autour de lui. L'hygiène a pris le dessus. Devant la mort, on escamote souvent l'occasion d'en faire un événement qui pourrait nous réconforter, nous servir de tremplin pour poursuivre la vie. On veut condenser les funérailles en une journée, faire ça le samedi parce que le monde ne travaille pas, alors qu'avant on se donnait plusieurs opportunités : on veillait le mort dans les maisons, les funérailles s'étalaient sur plusieurs jours, on portait le deuil. Il y avait un temps d'arrimage entre la réalité de la vie courante et le décès. C'est certain qu'un deuil nous fait tomber dans les profondeurs de la tristesse, mais c'est aussi une occasion de reconnaissance devant le fait qu'on est encore en vie. La mort est intimement liée à notre goût de vivre.

Comme les gens font moins appel aux rituels catholiques, comment fait-on pour aborder le sacré sans la religion ?

C'est ça le nouveau défi pour moi. Notre vie est comme une ligne horizontale qui se trace de la naissance à la mort. Le sacré, lui, est une ligne verticale qui demande un arrêt, qui vient nous marquer par quelque chose de spécial en lien avec l'inconnu, le mystère, le divin. Quand on ne prend pas un moment avec notre communauté pour marquer dans le temps les grands événements de nos vies, on manque une occasion de verticalité. Dans ce sens, les funérailles sont une des plus grandes occasions de laisser le sacré marquer nos vies.

Vous faites souvent référence à la communauté, c'est important pour vous ?

Malheureusement, la notion de communauté se perd au détriment de l'individualisme. On passe plus de temps à clavarder ou à écouter la télé. Ça fait en sorte que la communauté qui devrait être là pour nous soutenir dans les moments plus difficiles n'existe pas toujours. Personnellement, je suis privilégié, j'ai une belle gang d'amis avec qui je passe du temps. Quelques jours par année, on se loue un chalet et on se retrouve une trentaine. On se met à jour et on se rappelle qu'on est là pour se soutenir. Ça fait beaucoup de bien et c'est très précieux pour moi. Je trouve que les funérailles c'est justement un moment de rassemblement important, mais notre notion de communauté s'est effritée.

Vous qui côtoyez le monde de l'humour, croyez-vous que l'humour puisse avoir une place dans une cérémonie funéraire ?

L'humour de mauvais goût ou pour cacher un malaise, non. L'humour pour se rappeler qu'on est vivant, pour dédramatiser ou pour alléger, oui. Quand c'est fait avec intelligence, c'est un outil qui nettoie, qui aide à faire des liens, à créer une connivence et une complicité. Il peut être guérisseur et apaisant aussi. C'est un ingrédient qui a sa place, mais il faut savoir bien l'utiliser.

Dernièrement, vous avez coanimé un atelier qui abordait le silence et les rituels. Parlez-nous du silence.

J'ai souvent fait des retraites, des marches silencieuses dans le désert. Je suis un grand amateur de silence. J'ignore d'où ça me vient, c'est peut-être dû au métier que je fais qui m'oblige à passer beaucoup par la parole. Le silence est une porte d'entrée pour se retrouver. Il nous rend disponibles à l'intériorisation et à l'intégration de ce qui se passe, alors que l'agitation sociale nous empêche d'aller prendre le pouls de ce qu'il y a à l'intérieur de soi. Quand on a une vie urbaine avec tout le bruit constant que ça comporte, le silence amène un ralentissement, c'est un peu comme l'équivalent d'aller à la campagne. Et dans un rituel, ce ralentissement est nécessaire, car pour qu'un rituel soit efficace, tu ne dois pas le faire à la même vitesse que tu fais ta vaisselle ou que tu retournes tes appels.

Avez-vous d'autres projets en lien avec votre démarche rituelle ?

J'ai terminé ma formation dans le but de me rendre disponible à ma communauté sans vouloir me partir une « business » de célébrant. Les gens autour de moi le savent et ça les rassure de pouvoir compter sur moi pour célébrer un événement important. Puis, je constate régulièrement qu'il y a une méconnaissance légale sur ce qui est permis de faire autour de la mort, et je regarde de quelle façon je pourrais fournir de l'information à ceux qui ont besoin d'en savoir plus. Je dois dire que c'est un peu difficile d'intégrer ce nouvel aspect de ma vie à mon horaire professionnel déjà très chargé. J'ai un équilibre à trouver.

Avec tout ce que vous avez appris sur l'importance des rituels, que conseillez-vous aux endeuillés qui planifient des funérailles ?

De se donner le temps et le droit de vivre leur deuil comme il faut. La cérémonie comme telle ne règle pas tout. Une fois que le corps est enterré, ce n'est pas fini, c'est seulement la première étape. La mort c'est une séparation et tout ne peut pas se régler en une seule fois. Ce serait bien de prévoir se réunir à nouveau lors d'un brunch quelque temps après, juste pour laisser aller d'autres petits bouts, pour parler du défunt et de ce qu'on a sur le cœur. Au cinquième anniversaire de décès de mon amie, on a décidé de souligner l'événement. Elle était linguiste et elle aimait beaucoup peindre. Alors, on a demandé à tout le monde de lui offrir un poème, un dessin ou un texte afin d'en faire un petit magazine. On a organisé une sorte de lancement et une copie a été remise à chacun. C'était notre façon de montrer qu'on ne l'avait pas oubliée et qu'elle était encore chère à nos yeux. Même quand ça fait plusieurs années, il y a toujours moyen de faire en sorte que la personne décédée ne tombe pas dans l'oubli.

Entrevue et texte : Maryse Dubé
Photo : François Lafrance
Publié dans la revue Profil - automne 2008

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