Les rituels avec ou sans le religieux
Un rituel réussi, d’après Joseph Campbell, est un événement qui réunit notre cœur et notre tête. Dans un moment de grâce, un alignement a lieu, une connexion au centre de soi, une union entre le conscient et l’inconscient se manifeste et donne sens aux gestes accomplis et aux paroles prononcées.
Habituellement, le rituel (baptême, mariage, funérailles) est préparé longtemps à l’avance par un groupe. Une joie satisfaisante s’installe dans le cœur de ceux qui le préparent. Il y a une intensité d’émotion, une projection du happening faite de souvenirs des rituels passés, généralement rejoués avec plusieurs points communs. On s’attend à ce que quelque chose arrive, à ce que l’énergie soit stimulée, souvent exprimée par des échanges chaleureux entre les membres de la communauté. Un rituel réussi favorise l’union de l’être avec lui-même et avec les autres.
La modernité
La société québécoise, jusqu’à quelques décennies, fournissait un code de comportements dans les rites de passage. On nous transmettait une manière de fonctionner avec des symboles, des paroles, une méthode pour vivre le rite de la mort dictée par la religion et la foi.
Ce n’est plus le cas de nos jours : il n’y a plus d’homogénéité dans notre manière de vivre la mort. Chacun s’invente une façon de faire selon son rang social, ses croyances ou son rapport aux traditions. Ce phénomène oblige les familles à s’investir davantage dans la préparation des funérailles. On choisit des textes significatifs, de la musique et des chants qu’aimait le défunt. Les proches élaborent une façon de représenter la personne morte, ses passions, ses amours.
Souvent le corps est occulté ou absent de nos rites funéraires. On se « débarrasse » du cadavre rapidement.
Célébrer des funérailles
Les jours qui suivent le décès, la famille n’est plus accessible aux amis et aux collègues de travail. On vit sa peine en réclusion. Quelques jours plus tard, on donne la main à une famille souriante qui a vécu sa peine en solitaire. Lorsqu’on nous signale l’heure et l’endroit où exprimer notre sympathie, nous posons un geste social. Près d’une urne, on regarde une grande photo, quelques objets significatifs et des fleurs. On nous présente les enfants ou les petits-enfants du défunt. Une boîte pas loin pour déposer nos dons à l’organisme suggéré dans la colonne nécrologique du journal local. On jase discrètement ou non autour des cendres tandis que sur un écran déroulent les photos souvenirs des moments importants de la vie du défunt.
Si le service est religieux, la famille occupe une grande place dans la prise de parole pendant la cérémonie. Chaque enfant apporte sa contribution. Le prêtre prend en charge la partie symbolique : il allume le cierge baptismal, distribue la communion, encense et asperge d’eau bénite les restes de la dépouille. Il devance aussi la tête de la procession, avec la croix chrétienne portée par un descendant de la famille. Vient ensuite l’urne ou le cercueil derrière lequel la famille forme un triste cortège.
Parfois la cérémonie se déroule au salon mortuaire. Aidé de quelques membres de la famille, l’officiant raconte brièvement la vie de la personne décédée. Une réflexion fait appel aux saisons de la vie. S’il reste un brin de religieux qui s’attarde dans la famille, on parle du retour au Père. On marmonne quelques prières connues par les plus vieux. Les enfants posent des grands yeux surpris sur les bouches qui prononcent des mots qu’ils ne connaissent pas et qu’ils n’apprendront probablement jamais.
Puis, à la queue leu leu, nous nous rendons au cimetière déposer les cendres ou le cercueil et nous disons adieu pour toujours à l’être cher. Les paroles sont sincères et nous comprenons que l’esprit de la personne disparue vivra dans le cœur des endeuillés et que l’amour donné ne meurt pas.
Un nouveau sens du sacré
Dans le cadre de mes recherches, j’ai longtemps réfléchi sur la perte du sens du sacré dans les rituels. Pourquoi avons-nous délaissé certains rites? Comment tentons-nous de les remplacer ou de les renouveler? Personnellement, je les évitais à cause de la dualité corps-esprit imposée par l’enseignement religieux durant ma jeunesse. Il fallait mater le corps, le contrôler et ignorer les émotions afin de sauver son âme. Pour moi, un jour l’heure est venue de dépasser cette dualité.
Comme plusieurs j’ai transformé la prière en visualisation pour m’aider à traverser le divorce, l’éclatement de la famille, les coups durs de la vie. L’écriture, que je pratiquais comme une méditation, a été la porte d’entrée dans mon propre cœur et est devenue mon rituel unificateur.
Afin de renommer le sacré, sans renier ma foi, j’ai regardé du côté des autres croyances. Les Indiens voient la vie en cycles. Pour eux, la mort fait partie de la vie. Tandis que les bouddhistes croient que nous revenons sur terre jusqu’à la disparition complète de l’ego. Ils voient l’âme comme une flamme qui en allume une autre, c’est le même feu, mais pas la même lampe. Moi, je crois que ma lampe est unique et m’a été léguée. Elle peut être toute emboucanée et abîmée par les générations précédentes. J’ai le devoir, pendant ma vie, de la rendre la plus brillante possible avant de la léguer à mes descendants.
Est sacré ce pour quoi on est prêt à se sacrifier
Pour les hindous, les athées, les chrétiens, les agnostiques, les humanistes religieux ou pas, un rituel a quelque chose de sacré. Que l’on croie à une vie après la mort ou pas, le recueillement est nécessaire. Lorsque l’on se recueille, on s’accueille, soi d’abord. Dans le silence de notre cœur, nous avons accès à ce lieu, qui n’en est pas un, à ce temps non historique, à cet espace sacré où tous les esprits se rejoignent. Alors il n’y a plus de mur entre moi et l’autre. Ce qui compte le plus dans un rite de passage, c’est le lien ressenti en nous et entre nous. Les symboles, la musique nous aident à entrer dans cette dimension, en communion avec l’esprit de ceux qui nous ont quittés. Une forme de communion s’installe aussi dans la communauté.
La transcendance
Les auteurs que j’ai étudiés en psychologie, en philosophie et les mystiques s’accordent pour dire que le noyau de l’homme est ce qui en lui dépasse sa nature, c’est-à-dire ce qui va au-delà de sa personnalité. Dans un rituel, ce contact avec ce côté spirituel de l’être serait favorisé. Ce sont des moments privilégiés pendant lesquels les dualités s’estompent.
En ce qui me concerne, je crois qu’à notre mort, nous retournons à une grande source; la science l’appelle énergie créatrice, les chrétiens l’appellent Dieu. C’est comme la source de l’amour infini. Nos rituels peuvent nous donner accès à cette source.
La vie éternelle serait ce cadeau, cette flamme que nous avons reçue, que nous transportons et que nous transmettons à nos descendants. Dans un rituel, nous avons accès à ce coin sacré de l’Être, un moment privilégié pour ressentir en nous ce lien avec l’Énergie universelle.
Texte : Ginette Bureau
Image : Pixabay
Publié dans la revue Profil - automne 2014
Ginette Bureau détient une maîtrise en création littéraire et un doctorat en lettres françaises de l’Université de Sherbrooke où, par ailleurs, elle y a enseigné l’anthropologie spirituelle. Elle s’intéresse au pouvoir des mots et à la résilience par l’entremise de l’écriture et possède à son actif une dizaine de livres, dont : Réinventer les rituels – Célébrer sa vie intérieure par l’écriture, Éditions du CRAM 2012 et La quête de Soi, une aventure psychologique ou spirituelle, Éditions du CRAM 2013
En 2006, la Société Saint-Jean-Baptiste du diocèse de Sherbrooke lui a décerné le Prix littéraire Juge-Lemay pour l’ensemble de son œuvre.