Quand le berceau reste vide

Quand Marie a annoncé à Gilles la venue prochaine d’un bébé, ce fut l’explosion de joie, puis le marathon d’appels : grands-parents, amis, famille, collègues, tous partageaient le bonheur du couple. Quatre mois plus tard, la petite chambre est déjà prête, avec un berceau blanc qui trône au centre. Une nuit, le rêve se brise : crampes, mal de ventre, appel au médecin, pertes sanguines, transport à l’hôpital, fausse-couche, curetage. Volatilisé le bébé. Les pleurs ont remplacé les fleurs.

Des Marie, il y en a 10 500 chaque année au Québec. De fait, 15 pour cent des grossesses se terminent par une fausse-couche. La plupart vivent cette épreuve sans trop de difficultés mais environ une femme sur cinq traversera ce deuil dans un état dépressif. Contrairement à ce que l’on peut penser, le chagrin qui suit la perte d’un enfant avant sa naissance peut être très affligeant, et ce pour les deux parents. Dans certains cas, ce deuil ne se dissipe complètement qu’après des années.

Un deuil tabou

Qu’est-ce qui rend si complexe le deuil d’un enfant mort avant de naître ?

D’abord, les parents ne voient pas toujours ce qu’ils ont perdu. Il n’y a pas si longtemps, le personnel médical s’empressait de cacher aux parents le fœtus ou l’embryon expulsé prématurément. Avec les nouvelles connaissances sur le deuil et l’expérimentation avec des parents, il est maintenant recommandé de voir l’enfant, même s’il n’est pas identifiable.

Dans plusieurs cas, le deuil est reclus : il n’y a pas de funérailles, ni rite religieux ni cérémonie qui entourent la mort du bébé. La perte d’un enfant non né, non fini, est aussi plus difficilement partageable que celle d’un bébé qui a vécu, ne serait-ce que quelques heures. Il existe une cicatrice dans le corps de la mère, mais pas dans l’entourage.

Sur le plan spirituel, plusieurs parents trouvent difficile d’imaginer ce qu’il advient de l’âme du bébé. Comment imaginer en fait qu’un tout petit être décédé avant son premier souffle puisse reposer en paix ? Ce questionnement rend encore plus pénible le processus de deuil, surtout que, dans la plupart des cas, il s’agit pour le couple d’un premier contact avec la mort.

Ajoutons à cela que, légalement, l’enfant n’a pas d’identité, pas même un certificat de naissance ou de décès, aucune reconnaissance de l’extérieur qu’il a même existé. Comme personne ne l’a vraiment connu, l’entourage reconnaît rarement les émotions vécues par les parents. Psychologiquement ébranlés, les parents vivent souvent ces moments difficiles dans l’incompréhension de leurs proches : « Ce n’était même pas un enfant », « Vous ne l’avez pas connu », « Vous allez vous reprendre ».

Et, contrairement à d’autres deuils, la fausse-couche est souvent soudaine. Les parents n’ont pas la moindre petite chance d’anticiper la perte et de se préparer. Comme il y a rarement une explication de la fausse-couche, les mères surtout développent des sentiments de culpabilité, des « si seulement » et des doutes sur leur capacité d’enfanter. Au moment où la fausse-couche débute, les parents vivent des sentiments d’impuissance. Rien ne peut être fait pour prévenir les saignements et les crampes. En quelques minutes, les parents perdent subitement leur statut de père et de mère. Ni la mère, ni son partenaire ou l’obstétricien n’ont de pouvoir sur la situation : ce sentiment d’impuissance conduit souvent au désespoir et à la dépression.

Finalement, le bébé est encore une partie de la mère ; il n’a pas encore une identité indépendante, ce qui rend le déchirement et la séparation très difficiles. Cette fusion avec la mère rend ce type de deuil extrêmement désorientant et bouleversant.

Soutenir et comprendre

Totalement inconnu il y a 20 ans, le deuil périnatal est aujourd’hui suffisamment admis pour qu’on lui consacre une documentation importante. Des intervenants ont publié des articles sur le sujet et il existe même des groupes de soutien pour les parents qui ont perdu un enfant ou un fœtus.

Pour aider des parents qui ont vécu cette épreuve, il importe d’abord de laisser les parents exprimer leur peine. De fait, peu importe que la mère ait été enceinte pendant quelques semaines ou quelques mois, les parents ont le droit indéniable d’avoir de la peine. Il est normal aussi que les parents vivent des émotions tels que la confusion, la peur, la culpabilité, la colère et la désorientation. On peut aussi observer un sentiment de rancœur et de jalousie face aux autres mères et leurs enfants.

Aux parents touchés par le deuil, les intervenants spécialisés suggèrent de voir et de toucher le bébé. « Seuls les parents peuvent déterminer s’ils sentent le besoin de voir et de tenir leur bébé après la mort. Mais une chose est certaine : ils devraient en avoir la possibilité. Bien des parents apprécient cette occasion de dire adieu. Il n’y a rien de répréhensible à ce que les parents veuillent voir, tenir et toucher leur bébé », soutient Allen Wolfet, un spécialiste du deuil, dans un article paru dans la revue Frontline.

« Les parents ne devraient pas prendre de décision à la hâte. Ils devraient prendre leur temps et y réfléchir. S’ils ont des craintes en ce qui concerne l’apparence du bébé, ils peuvent demander au médecin ou à l’infirmière de le décrire. S’ils décident de voir et de tenir leur bébé, ils devraient passer autant de temps qu’ils croient nécessaire avec lui. Même quelques minutes les aideront beaucoup à se remettre de leur perte. »

Même s’il y a des malformations majeures, ce que l’on imagine est souvent pire que la réalité et cette peur se dissipe très vite lorsque les traits normaux de l’enfant sont mis en évidence.

Il est aussi souhaitable de prendre des photos de l’enfant afin de conserver un élément tangible de la perte. Des experts en deuil périnatal soutiennent même que prendre, laver et bercer son enfant mort sont des gestes qui aident à faire son deuil plus tard.

Il est également suggéré de donner un nom au bébé, même s’il n’a jamais vécu hors du sein de sa mère. Si les parents avaient déjà choisi un nom, ils devraient le garder. Ce nom appartient vraiment à cet enfant. Avoir un nom pour le bébé permet aux parents de parler de leur perte d’une façon personnelle. Ils reconnaissent ouvertement qu’ils ont aimé un enfant et qu’ils en garderont toujours le souvenir. Plus tard, ils trouveront plus facile de se rappeler leurs souvenirs s’ils peuvent faire référence à leur enfant par son nom. Bref, il est important de donner une « existence » à cet enfant mort, de le présenter, le montrer, le rendre réel et établir des traces tangibles.

« Dans certains cas, il est même souhaitable que les parents publient un avis de décès dans le journal, même si la grossesse n’était pas à terme », soutient Manon Grenier, directrice générale du Centre funéraire coopératif du Granit. « Ça permet d’amorcer concrètement le processus de deuil et de favoriser la création d’un réseau de support. Et comme la mère garde un ventre rond quelques semaines après la fausse-couche, ça réduit les risques de maladresses que pourraient commettre les gens en demandant "C’est pour quand le bébé ?" ».

Pour l’entourage des parents endeuillés, il importe finalement d’être attentif aux signes de détresse, particulièrement lors des périodes de réjouissances comme la fête des Pères, la fête des Mères, le premier Noël et la rentrée scolaire.

Tourner la page ?

Aimer, c’est pouvoir un jour pleurer cette perte. Or, comment guérir sans exprimer ouvertement sa peine ? La renier ne fera que rendre la situation plus confuse et plus accablante. Rien ne blesse davantage un parent que de s’entendre dire de «tourner la page». Pour eux, ce conseil équivaut à nier que l’enfant disparu ait déjà existé.

Un deuil reconnu et intégré, c’est tout le contraire. Les parents en deuil n’évoluent pas vers l’oubli, mais en direction d’un souvenir enrichi qui fait désormais partie d’eux-mêmes.

 

Les rites funéraires

Pour reconnaître qu’une vie en puissance est terminée, il est à-propos de faire place à un rituel autour de la mort du bébé. Peu importe la forme qu’il prendra, le rituel aide à apporter aux parents le soutien de personnes concernées. Les funérailles sont une occasion de rendre témoignage de la vie et de la mort d’un enfant. Et surtout, les funérailles permettent aux parents d’extérioriser leur peine.

Il se peut que des personnes disent aux parents : « Ce sera plus facile de ne pas avoir de funérailles. » En fait, choisir de ne pas avoir de funérailles est une décision que bien des parents regrettent plus tard. Pour les parents et l’entourage, sans oublier les autres enfants de la famille, les funérailles sont aussi une façon de dire adieu à l’enfant désiré.

La loi québécoise prévoit que le fœtus doit avoir au moins 500 grammes pour que la dépouille puisse être remise à un entrepreneur funéraire afin d’être inhumée ou incinérée. Dans ces cas, la famille peut prévoir une cérémonie, ce qui peut réduire l’isolement des parents et favoriser le processus du deuil. Si les parents sont déjà prêts à donner de l’amour à cet enfant et si leur foi leur dit que c’est important, pourquoi pas? Le rite peut prendre plusieurs formes : dans certains cas, l’inhumation ou la crémation est précédée (ou suivie) d’une cérémonie de la parole et d’une bénédiction du corps. Certains prêtres acceptent qu’il y ait un service religieux. D’autres vont souligner le départ de l’enfant lors d’une cérémonie des anges pour les bébés non baptisés qui sont décédés.

 

Tu ne verras jamais le soleil

Tu as été envoyé pour être bercé dans nos bras
Mais tu étais trop petit pour naître aujourd’hui
Tes mains, pieds et oreilles étaient pourtant si parfaits
Maman et papa ont partagé leurs rêves
Seras-tu une fille ou un fils ?
Nous t’avons pris dans nos bras, notre tout petit
Pour comprendre que nos rêves se sont envolés
Tu ne pourras jamais sentir les fleurs, entendre la pluie
chasser les papillons et rire aux éclats
Tu ne verras jamais le soleil
Au revoir, notre tout petit

Anonyme
Traduction libre

Sources :

  • de Parseval, G. Delaisi. « Le deuil périnatal », Bulletin de périnatalogie, Volume 20. n°2,1997.
  • Mercier, Johanne. « La fausse couche: un deuil mal compris », Le Soleil, 5 novembre 1995.
  • Société canadienne de pédiatrie. « Soutien des parents suite à la perte périnatale d’un enfant »
  • Stillbirth and Neonatal Death Support Western Australia
  • Thibaudeau, Carole. « La perte d’un nouveau-né, Les bienfaits du souvenir », La Presse, 28 novembre 1999.
  • Wolfelt, Allen D., Ph.D., « Aider les parents à survivre au décès d’un bébé », Frontline, été 1998.

Références

Groupes de soutien pour les parents qui ont perdu un enfant ou un fœtus :

  • Les Rêves envolés, au centre hospitalier Pierre-Boucher de Longueuil, (450) 449-9238.
  • Més Anges, au CLSC Bordeaux-Cartierville (Montréal), (514) 331-CLSC (2572).
  • Par amour pour Marie-France, (514) 644-2105, Montréal.
  • Les amis compatissants, au (514) 933-5791, accueille et réfère les parents qui ont perdu un enfant de n’importe quel âge.

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Texte et recherche : France Denis
Tiré de la revue Profil

Pour mieux vivre un deuil : Trouver des gestes qui ont un sens