Avec l'évolution des pratiques funéraires, plus de gens optent pour l'incinération et choisissent de moins en moins le cimetière comme lieu de dernier repos. De là, il n'y a qu'un pas pour que les cimetières, et ceux qu'ils abritent, tombent dans l'oubli. Témoins d'épitaphes qui racontent en partie l'histoire d'une communauté, que peut-on faire aujourd'hui pour se réapproprier ce patrimoine collectif, avant que la mort ne s'y installe à tout jamais ? Nous avons posé la question aux internautes endeuillés qui viennent chercher du soutien sur le site d’entraide La Gentiane. De prime abord, ceux qui fréquentent les cimetières confirment un délaissement général des lieux. Comme le dira Nostalgie*, « chacun perçoit à des degrés divers la nécessité de s’y rendre régulièrement ou pas ». Mais 9 fois sur 10, elle s’y retrouve seule… bien qu’elle considère nécessaire de convenir d’un lieu pour les défunts.
Pourquoi devrait-on choisir d’aller au cimetière ? Les réponses se ressemblent et la majorité parle de la nécessité de se recueillir dans un lieu précis. Kathycat* nous dit que sa mère y va tous les jours, et que le fait de s’occuper de son Bibi par l’entretien de sa tombe l’aide à ne pas tomber en dépression. Marroy* raconte que lorsqu’elle se recueille sur une stèle, elle sent un lien tangible qu’elle ne peut expliquer. Mecalacool*, lui, avouera que malgré le fait qu’il ait dispersé les cendres de son fils, les cimetières restent le lieu suprême de recueillement. Il a bien tenté de répondre aux besoins de son entourage désorienté de ne pouvoir aller au cimetière en leur créant un blogue, mais il constate que ce n’est pas pareil : « Certaines personnes ont besoin d’avoir un lieu particulier pour se recueillir et rendre hommage à la personne disparue, un lieu que l’on peut fleurir, pour matérialiser l’hommage. » D’ailleurs, à ce propos, les fleurs fraîches reviendront souvent comme un rituel permettant de faire vivre l’endroit.
Ainsi, pour plusieurs, aller au cimetière aide au deuil. Alors pourquoi ces lieux sont-ils délaissés ? Nancy* précise que c’est trop loin de chez elle et qu’elle ne peut se recueillir comme elle le voudrait. Mirka* confie qu’il y a presque deux ans qu’elle n’y a mis les pieds parce que c’est une épreuve chaque fois et qu’elle prend des semaines à s’en remettre. Christi*, pour sa part, trouve qu’il règne beaucoup de tristesse dans les cimetières et qu’elle aimerait que ce soit un lieu plus naturel avec plus d’arbres et de végétaux. Elle sera contente d’entendre Pounet* raconter que dans son coin de pays, les communes créent de jolis jardins paysagers dans les cimetières et que, ces derniers mois, le sien est devenu plus accueillant, avec des bancs pour la pause réflexion et une fontaine qui s’ajoutera prochainement.
Un patrimoine à redécouvrir
Le profil des cimetières et l’usage que nous en ferons risquent fort probablement de changer au fil du temps. D’ailleurs, à la question « que peut-on faire pour se réapproprier ce patrimoine collectif », Marilou* propose d’intégrer la visite des cimetières dans les circuits touristiques au même titre que les églises ou tout autre vestige historique. D’autant plus que certains sont situés dans des endroits absolument magnifiques, pourquoi ne pas en profiter ! C’est ce que fait Melucale* : lorsqu’elle va en vacances, elle se promène dans les cimetières, repère les noms de famille les plus courants, les années des plus vieilles tombes et déjà, ça lui donne une image du village qui l’accueille.
Pour certains, les cimetières sont morbides et sources de chagrin; pour d’autres, ils sont un lieu de méditation qui permet de prendre la pleine mesure de la vie. Et c’est à Nostalgie* que revient le mot de la fin par la très belle description de l’usage qu’elle en fait :
Je me recueille devant les tombes de mes anges, gratouille la terre, nettoie ça et là une fleur fanée, des feuilles séchées, mais c’est toujours avec amour... Après, je fais un petit tour auprès des tombes voisines… je relis des épitaphes, j’arrose des fleurs en souffrance. Bref, cela devient un lieu de promenade plutôt qu’une visite imposée… Cela peut paraître paradoxal, mais le cimetière sous son apparence figé, voire lugubre, demeure un lieu avec un rôle social, un rôle de mémoire, un point de recueillement… un lieu de ralliement. Tout compte fait, il s’en passe des choses : on y prie, on y pleure, on y médite, on y fleurit, on y entend des oiseaux chanter, des abeilles butiner, on y discute parfois de tout et de rien, seul avec nos morts ou bien avec des connaissances… Alors, j’ose écrire : longue vie aux cimetières !
Par Maryse Dubé
Publié dans la revue Profil
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* Pseudonyme