Mourir à la maison : une expérience de vie

Le virage ambulatoire devait être l'occasion, entre autres choses, de donner une dimension plus humaine à la mort en améliorant les soins à domicile pour les personnes désireuses de terminer leurs jours chez eux, entourées de ceux et celles qu'elles aiment et dans un environnement familier. Cette façon d'envisager le dernier droit de sa vie recueillerait l'adhésion de plus de 80 pour cent des Québécois.

Mais la réalité, c'est que plus de neuf personnes sur dix rendent l'âme dans un hôpital, et rien n'indique que cette proportion ira en diminuant. De 1993 à 1998, le pourcentage de décès enregistrés à la maison au Québec est passé de 9,3 à... 9,2, avec une pointe de 10,3 en 1996*.

Plus révélateur encore, l'étudiante et chercheure en sciences infirmières à l'Université Laval Isabelle Martineau constatait l'an dernier que moins de la moitié des personnes âgées préféraient rendre leur dernier souffle à la maison, et ce, même dans l'éventualité où les douleurs dues à la maladie seraient contrôlées. Dans le cas contraire, la proportion grimpe à 66 pour cent.

On le voit bien, l'espoir de quitter ce monde paisiblement loin du va-et-vient continuel des centres hospitaliers s'amenuise à mesure que l'échéance approche. « La moyenne d'âge des gens interrogés est de 65 ans. Étant donné leur expérience de vie, ils sont plus susceptibles d'avoir vu des gens autour d'eux qui ont dû accompagner un proche mourant. Et ils ne veulent pas devenir eux-mêmes un fardeau pour leur famille. En même temps, on ne peut pas demander à toutes les familles d'assumer cette responsabilité supplémentaire, alors qu'elles en ont déjà suffisamment sur les bras avec leurs propres enfants », soutient Isabelle Martineau, également infirmière à la Maison Michel Sarrazin, un organisme de Québec qui accueille en soins palliatifs des malades en phase terminale et qui coordonne plusieurs services de maintien à domicile destinés aux personnes mourantes et à leur famille.

Au-delà de la charge de travail et émotive que la mort à domicile implique pour les proches, le malaise de ces derniers face aux responsabilités médicales en décourage plus d'un à envisager cette éventualité. « Malgré les progrès des dernières années, les soins à domicile sont encore insuffisants, convient Mme Martineau. Pour les conjoints ou les enfants, le problème est souvent le même : ils craignent de ne pas avoir un support suffisant. Puis, il y a les risques de complications. Les gens ne se sentent pas suffisamment formés pour réagir face à ça », enchaîne-t-elle.

« Une étape importante de la vie »

Pour le fondateur de la Maison Michel Sarrazin, le docteur Louis Dionne, la médecine elle-même est en train de changer et les professionnels de la santé seront de plus en plus enclins à se rendre au chevet de leurs patients hors des centres hospitaliers. Il cite en exemple le service des CLSC qui peuvent offrir des consultations en tout temps. Du reste, confiait-il en entrevue à la Revue Notre-Dame, de janvier 1997, « il y a une bonne proportion de malades cancéreux en phase terminale pour qui les choses vont relativement bien. Les symptômes sont bien contrôlés. Le patient est lucide et ambulant. À ce moment-là, pourquoi le malade ne resterait-il pas chez lui, même s'il est seul ? » demandait le médecin dans ce numéro intitulé « Mourir à la maison ».

Aussi exigeant qu'il puisse être, l'accompagnement d'un proche au seuil de la mort peut également s'avérer une étape d'une richesse exceptionnelle en enseignement, ajoutait le docteur Dionne dans la même revue. « L'expérience vécue ici par les familles leur fait comprendre que la fin de la vie est une étape importante de la vie. Et quand cela se passe bien, la vie est plus facile ensuite pour les survivants. Parce qu'ils ont donné le meilleur d'eux-mêmes. »

Coordonnatrice à la Rose des vents de l'Estrie, qui accompagne des personnes cancéreuses et leurs proches dans leur milieu, Anne-Marie Poirier abonde dans le même sens : « Quand la famille est proche dans les derniers moments, elle vit un deuil anticipé. À partir du moment où les gens réalisent qu'il n'y a plus rien à faire, le processus de deuil est déjà engagé. Au bout d'un an après la mort d'un proche, les gens qui ont pu assister à ses derniers moments sont beaucoup plus sereins que ceux qui ont perdu un être cher sans avertissement, dans un accident, par exemple », remarque Mme Poirier, qui anime également des rencontres de suivi de deuil en collaboration avec la Coopérative funéraire de l'Estrie.

« Dans la famille, le malade peut plus facilement parler à son conjoint, à ses enfants, leur dire qu'il les aime, se faire dire qu'il est aimé. On peut revenir sur certains problèmes, se faire pardonner au besoin », note Louis Dionne. « C'est souvent l'occasion pour la personne mourante de faire le bilan de sa vie. Parfois, certains vont dire à regret qu'ils n'ont pas eu la vie qu'ils auraient espérée, qu'ils ne referaient pas les choses comme ça. D'autres sont plus positifs et constatent qu'ils ont eu une vie bien remplie, qu'ils ont fait de beaux enfants », ajoute Anne-Marie Poirier.

Rester naturel

Dans un cas comme l'autre, Mme Poirier suggère aux familles de rester naturelles face la personne mourante. « La meilleure façon de se comporter est de faire comme on l'a toujours fait. On peut en profiter pour dire des choses importantes, mais il ne faut pas nécessairement attendre de grandes déclarations en retour. Souvent, je rencontre des gens qui me disent que leur conjoint ou leur parent ne parle pas beaucoup avant sa mort. Je leur demande s'il parlait davantage avant qu'il soit malade et, le plus souvent, ils me répondent tout simplement que non... Les gens qui se préparent à mourir aiment de la même façon qu'auparavant. »

L'important, insiste Anne-Marie Poirier, c'est de demeurer à l'écoute du malade, de respecter ses besoins et de demeurer ouvert aux volontés exprimées en fin de vie. L'approche est la même pour les bénévoles de la Rose des vents appelés à soutenir les efforts de la famille. « Les bénévoles sont formés à écouter afin d'aider les personnes à nommer les choses qu'elles vivent, pas pour les dire à leur place. Ce doit être quelqu'un qui sache garder ses distances émotivement, qui se comporte à la manière d'un voisin qui peut aider. C'est pourquoi nous faisons appel à des gens qui présentent un bon équilibre psychologique de façon à ce qu'ils puissent intervenir efficacement. Parfois même, il faut que le bénévole sache se retirer pour laisser la place à la famille. Nous leur disons toujours de se montrer très discrets et de continuer de se rendre disponibles. »

Malgré toutes ces précautions, il se peut que des membres de la famille apprécient peu la présence d'«étrangers» pendant ces périodes souvent intenses. « Il arrive que certains développent une certaine jalousie face aux liens qui se tissent entre le bénévole et la personne malade. Parfois, ils constatent qu'ils n'ont jamais eu droit à de telles confidences ou qu'une plus grande complicité les lie. » Mais généralement, ces ressentiments proviennent des gens qui ne vivent pas quotidiennement avec leur proche mourant, précise Mme Poirier.

Présence accrue des CLSC

Car au-delà du support direct aux personnes condamnées, les bénévoles de la Rose des vents, comme ceux de la Maison Michel Sarrazin et de tous les organismes du genre au Québec, veillent sur les proches qui doivent continuer à vivre malgré les événements. Sur le plan psychologique, bien sûr, en pratiquant toujours la même écoute active, mais aussi sur le plan purement pratique. Que ce soit pour contribuer aux tâches ménagères, aider à la préparation de repas, accompagner le malade au centre hospitalier pour y recevoir des traitements ou, le plus souvent, veiller sur lui le temps d'offrir quelques moments de répit aux membres de la famille.

Depuis quelques années, les CLSC occupent une place de plus en plus importante dans les services à domicile pour les malades en phase terminale avec son programme SIMAD, pour soins intensifs au maintien à domicile, offert dans toutes les régions du Québec. Même si le programme existe depuis longtemps, les CLSC ont « peaufiné leurs positions au cours des dernières années », au dire de Louise Rivard, agente de programmation à la Régie régionale de la santé et des services sociaux de l'Estrie. « Les familles veulent prendre soin de celui qui vit ses derniers moments, mais elles ne peuvent tout simplement pas le faire toutes seules », explique-t-elle.

Partout au Québec, les CLSC coordonnent des équipes de médecins, d'infirmiers, de travailleurs sociaux et d'auxiliaires familiaux spécialement formés pour répondre aux besoins de cette clientèle particulière. Les familles qui vivent cette situation ont également accès à un service de référence téléphonique disponible en tout temps. Est-ce suffisant pour que les gens se sentent aussi en sécurité chez eux qu'à l'hôpital ? Difficile de répondre, puisque les statistiques demeurent vagues au ministère de la Santé et des Services sociaux à savoir si la proportion des décès survenus en milieu hospitalier va en croissant ou en diminuant. Plus difficile encore de savoir si les gens atteints d'une maladie incurable restent plus de temps chez eux avant de rendre leur dernier souffle en établissement. « Intuitivement, je serais tentée de répondre que oui », avance prudemment Louise Rivard.

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De l'accouchement à la mort, de l'aube au crépuscule de la vie, les ressemblances sont étonnantes : la plupart des gens préféreraient franchir ces étapes fondamentales dans leur intimité. Mais ces espoirs se heurtent encore le plus souvent aux mystères qui les entourent.

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* Ces statistiques ne tiennent compte que de l'endroit où le décès est constaté. « Or il peut arriver qu'une personne subisse un infarctus à la maison, par exemple, mais qu'elle succombe à l'hôpital. Le système de compilation actuel ne nous permet pas d'avoir de données précises sur le lieu où résidait la personne juste avant sa mort », révèle Louis Hébert, de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de l'Estrie. Les chiffres demeurent pertinents dans la mesure où ils n'indiquent aucune évolution au cours des six années étudiées.

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