Médecin de famille, le docteur Mario Dubuc est chef du service des soins palliatifs au Centre universitaire de santé de Sherbrooke. Il est également responsable des activités médicales à la Maison Aube-Lumière, une institution vouée aux cancéreux en phase terminale.
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Votre formation de médecin vous prépare à soigner. Quand la mort est inéluctable, croyez-vous que le personnel médical est suffisamment formé pour accompagner un mourant ?
Malheureusement non, mais ça va changer car l’approche en soins palliatifs a été priorisée dans certaines universités. C’est un réel besoin. Avec la population qui vieillit, de plus en plus de gens sont confrontés à des maladies mortelles.
Comment arrivez-vous à trouver les mots justes pour annoncer à une famille la mort d’un proche ?
C’est toujours très difficile, surtout pour un médecin qui est appelé à venir faire un constat de décès d’une personne qu’il n’a jamais vue. Évidemment, c’est plus facile si on a accompagné la famille du défunt durant un certain temps et qu’on a développé des liens privilégiés avec eux.
Il n’y a pas de formule unique et magique. Il faut utiliser les termes qui nous apparaissent les plus justes et qui vont respecter la souffrance que les personnes vivent. Il faut que ça soit une forme d’entrée pour les supporter dans les premiers instants où ils vivent le décès d’un proche.
Diriez-vous que cette annonce influence la conduite du deuil ?
Certainement. Si les familles reçoivent une annonce qui respecte leur souffrance et qui s’accompagne de support, d’écoute et de présence, ça fait une différence. Ça ne se joue pas dans les mots mais davantage dans l’attitude et la capacité d’offrir du support.
Quelles conditions sont nécessaires pour annoncer à un patient qu’il est atteint d’une maladie fatale ?
La plupart du temps, c’est un diagnostic qu’il faut annoncer seul à seul dans un environnement propice. Il n’est pas approprié d’entrer dans une chambre avec un résident et deux stagiaires, d’annoncer à un patient qu’il va mourir et de ressortir. On en voit des choses comme ça, je trouve ça triste. Ça laisse un goût très amer au patient, une fois qu’il a traversé l’état de choc.
Ce qui est très important, c’est de suivre l’agenda de la personne. Certains patients ne veulent pas savoir avec précision ce qui va se passer, ils ne sont pas prêts. On y va graduellement pour ne pas envoyer un diagnostic qu’il ne veut pas recevoir et qui va créer un état de choc inutile. Il faut aussi être disponible pour rester avec la personne si on sent qu’elle en a besoin.
Que faites-vous lorsque la famille désire cacher la vérité à un proche ?
On appelle ça la conspiration du silence. L’objectif est très légitime : la famille veut protéger le malade, l’empêcher de souffrir et de se laisser aller.
Il faut prendre le temps de leur expliquer à quoi ça mène. Cacher la vérité mène souvent à l’inconfort et à l’évitement face au malade. Inconsciemment, les gens espacent leur visite en raison de l’inconfort que ça génère. Ça risque d’isoler davantage le malade, de le laisser mourir seul et abandonné. Lorsqu’on explique tout ça à la famille, c’est exceptionnel que les gens ne changent pas d’idée. On les aide à vivre avec le fait que leur proche sait qu’il va mourir, avec toute la tristesse et les émotions que ça engendre.
Et pour avoir fait beaucoup d’annonces de ce genre, quand on annonce aux patients que le diagnostic est fatal, plusieurs répondent « Je le savais ». Ça les soulage de ne plus se questionner.
La vérité leur permet de se préparer ?
Exactement. Et de vivre des choses qu’ils ne pourraient pas vivre si la vérité est cachée. Les gens qui ont maintenu la conspiration du silence jusqu’à la fin vivent des deuils extrêmement pénibles puisqu’ils n’ont pas résolu leurs situations difficiles avec la personne qui va mourir.
Avec le vieillissement de la population et le développement des soins palliatifs, croyez-vous qu’il y a une évolution de la mentalité du personnel soignant face à la mort des patients ?
Il y a eu des évolutions de mentalité, de connaissance et de savoir-faire. Les soins palliatifs c’est relativement jeune comme discipline. Ça a quand même permis au personnel soignant d’apprivoiser cette réalité qu’est la mort. Dans le passé, on a pensé qu’il ne fallait pas annoncer la mort. Aujourd’hui, on sait que ce n’est pas la bonne façon d’agir. On ne permet pas aux gens de vivre ce qu’ils ont à vivre, de donner un sens à leur mort si on ne leur dit pas qu’ils vont mourir.
Est-ce que les structures hospitalières sont adaptées pour le recueillement des proches et pour accompagner le mourant ?
Non, et elles le sont de moins en moins avec les coupures qu’on a vécues. L’hôpital ne souhaite pas avoir dans ses murs des gens qui vont mourir. Elle veut réserver ses services aux gens qui ont des chances de guérir ou qui ont absolument besoin de recevoir des traitements qui vont les soulager. Avec ce qu’elle a comme ressources, l’hôpital fait de son mieux pour fournir le personnel qui va supporter ces gens-là. Mais ce n’est pas aussi approprié que des maisons vouées à cette mission, comme la maison Aube-Lumière.
Concrètement, qu’y a-t-il de plus qu’à l’hôpital ?
D’abord, l’environnement est plus approprié. La chambre est peinte en couleurs, le lit est plus confortable, il y a possibilité pour la famille de coucher dans la chambre du malade sur un lit d’appoint, les patients et leur famille ont accès à une cuisine. L’atmosphère est différente. Les heures de repas sont plus flexibles.
De plus, le personnel est formé de façon pointue pour s’occuper de cette clientèle. Comme le ratio personnel-patient est plus avantageux, le personnel a plus le temps pour s’asseoir et écouter un patient parler; ça fait même partie de ses tâches. Finalement, le centre peut compter sur beaucoup de bénévoles formés pour faire de l’accompagnement.
Vous arrive-t-il d’être affecté par l’enchaînement de deuils que vous vivez dans votre travail ?
C’est sûr qu’on vit des deuils, surtout lorsqu’on a entretenu des relations privilégiées avec la personne qui meurt. C’est particulièrement difficile aussi quand la mort n’est pas prévue, quand la personne nous quitte sans prévenir. Avec la clientèle des soins palliatifs, le deuil commence dès l’arrivée du nouveau patient. Tout en les aidant à apprivoiser la mort, on se prépare nous-mêmes, on fait le cheminement avec eux.
Sur le plan personnel, diriez-vous que le fait de côtoyer la mort dans votre travail entraîne une réflexion personnelle sur la mort, sur votre propre mort ?
Forcément. On n’a pas le choix de réfléchir et de se questionner sur la mort, quand on la côtoie assez régulièrement. Les cheminements que font les patients nous font grandir personnellement, nous font apprivoiser la mort, pour nous et pour nos proches. Il n’en demeure pas moins que c’est une expérience difficile, triste.
Concernant ma propre mort, j’essaie simplement de mieux vivre. Quand on voit mourir des jeunes personnes, des gens de tous les milieux, on revoit notre échelle de priorités. La réflexion sur notre mort nous amène une réflexion sur notre propre vie.