Le choix de mon père

Le lundi soir du 26 juillet 2021, il fait beau et chaud. Avec ma sœur au bout du fil, nous rêvons toutes les deux à nos vacances postpandémie. Nous nous imaginons dans un Club Med où activités et plaisir sont au rendez-vous toutes les heures du jour.

Photo prise  le 2 septembre 2021 à 9 h 45

Trente minutes plus tard, notre vie bascule. Papa entre à l’hôpital à cause d’une crise d’anémie. Une crise qui le vide de tout son sang, qui lui laisse un teint livide et blanc. Il perd instantanément ses joues rouges et, surtout, son sourire contagieux.

Le lendemain, j’apprends que papa a une tumeur hémorragique au niveau de l’estomac, d’où l’anémie. Le surlendemain, le radiologue confirme la présence d’une masse cancéreuse au niveau du cardia.

Après avoir refusé les traitements proposés – trois mois de chimiothérapie, ablation complète de l’estomac et encore trois autres mois de chimiothérapie – , il accepte une nouvelle option présentée par les médecins, soit la radiothérapie.

Cette option ne guérit pas, mais peut empêcher la tumeur de saigner et de faire en sorte qu’il meure au bout de son sang. Malgré le fait que chaque séance de radiothérapie soit récompensée par une crème glacée de la Laiterie Coaticook, le traitement ne répond pas.

Mon père ne veut pas souffrir comme son frère bien-aimé décédé quelques semaines plus tôt. Mais surtout, il ne veut pas épuiser son épouse et ses enfants, car il est totalement conscient que ce genre de soins amène une tâche très lourde qui ne donne pas de répit aux aidants naturels. Il préfère demander l’aide médicale à mourir.

En quelques jours, nous nous organisons avec le soutien du CLSC pour avoir une chambre de soins palliatifs à la maison, ce qui inclut tout l’équipement nécessaire. En famille, nous voulons créer ce qu’il appellera sans tarder « le paradis ». Tout est là pour le confort de papa…

On lui fournit une clochette pour qu’il nous appelle au moindre besoin. On lui donne de petits bonbons pour éviter que sa gorge ne s’assèche. On lui applique des crèmes hydratantes pour que sa peau reste douce. On le parfume pour qu’il sente toujours bon. On fait tailler les cèdres devant la fenêtre pour qu’il puisse voir le soleil et les enfants qui jouent dans la rue.

Puis, on installe un téléviseur démesuré pour lui donner l’impression d’être présent aux Jeux olympiques de Tokyo, car il suit de près tous les athlètes dans leur course folle. Pour papa, toutefois, ce sera son dernier marathon.

Son agenda, jadis rempli de projets et de loisirs, s’était vidé à cause de la pandémie. Tout à coup, il se remplit de nouveau. Médecins, infirmières, travailleuse sociale, préposées, aumônier, parents et amis ont défilé dans la maison tous les jours jusqu’au 31 août.

Le 1er septembre, la veille de son décès, mes parents fêtaient leur anniversaire de mariage. Pendant la sieste de l’après-midi, on décore la maison, on gonfle les ballons.

Ensemble, on célèbrera les 60 ans de mariage de mes parents.

Ensemble, on célèbrera des noces de diamant !

Le lendemain matin, les ballons étaient disparus et l’équipe médicale avait pris place.

En ce 2 septembre, l’homme qui a partagé mes 43 ans de vie va me quitter.  Ce moment, il l’avait choisi. Bien que difficile, ce moment a été exquis. Comme il l’avait prévu, papa est décédé à 10 h du matin, dans son jardin, entouré des siens, une rose à la main.

Caroline Cloutier
Directrice marketing et communications à la Coopérative funéraire du Grand Montréal

L’aide médicale à mourir : L’état des lieux au Québec (juillet 2021)