Le chemin du deuil

Amorcer un travail de deuil peut être douloureux. Mais le contourner et refuser d’y faire face a un prix parfois élevé. Heureusement, il y a des outils, et Chantal Verdon en connaît plus d’un. En tant que chercheuse, avec un doctorat en sciences infirmières et une spécialisation au niveau du deuil, elle vient mettre des balises pour aider à s’y retrouver.

Comment se traduit l’état de choc qui suit l’annonce du décès?

Tout est au ralenti, on se sent engourdie, on n’entend plus rien, l’information ne passe pas et il est difficile de répondre aux questions. Il y a une panoplie de réactions physiques et physiologiques qui se créent, par exemple le coeur se débat, la respiration est accélérée, on a un bourdonnement dans la tête, des trous de mémoire, et les paroles ne sortent pas dans le bon ordre.

Certaines personnes se mettent sur le pilote automatique. Il y a tellement de choses à faire : appeler tout le monde, faire les démarches funéraires, régler ce qui entoure le testament.

Souvent, l’état de choc est combiné au déni où on ne réalise pas ce qui vient d’arriver. Tous les deux sont des méca­nismes de protection. Et lorsque cet état prend fin, le travail de deuil peut commencer.

En quoi consiste le travail de deuil?

Je dirais que c’est comme une balle de laine multicolore et pleine de noeuds qu’il faut démêler. Il s’agit de choisir comment on va classer les bouts de ficelles : par couleur ou par grandeur? Ensuite, on doit identifier les thèmes autour de chacun ainsi que l’histoire qu’il y a derrière.

C’est un travail qui se retrouve aussi dans l’art de faire des listes. Ce que j’au­rais voulu dire et qui n’a pas été dit. Ce que je n’ai pas eu le temps de faire avec la personne décédée. Ce que j’ai aimé… Il y a une infinité de listes possible pour démêler tout ça dans sa tête et dans son coeur, et faire ainsi la paix avec des bribes d’histoires.

Le deuil peut également prendre l’allure d’une montagne à gravir : choisir les chemins pour s’y rendre, s’asseoir par terre pour prendre une pause, se rendre compte qu’il y a des embûches, que ce serait peut-être mieux de tourner à gauche. Aller chercher de l’aide quand la côte est trop abrupte, qu’on est essouf­flé, ou qu’on a le goût d’arrêter. Se faire accompagner.

En fait, c’est un travail qui demande de s’investir. On ne pourra jamais grimper la montagne si on ne commence pas à marcher. Et on ne démêlera jamais notre balle de laine si on ne voit pas qu’il y en a une devant soi. Le rythme et les thèmes à aborder vont être différents d’une per­sonne à l’autre, et il y a autant de façon de vivre un deuil que d’êtres humains sur terre.

Quels sont les repères qui permettent de dire qu’un deuil est normal?

Trop rapidement, les personnes en deuil veulent des résultats, parce que leur entourage s’attend à ce qu’elles aillent mieux le plus vite possible, qu’elles retournent travailler et qu’elles reprennent leurs habitudes de vie. Mais pour la plupart des gens, ça ne se passe pas comme ça.

Avant tout, il est important de prendre le temps de vivre son deuil. Je parle ici de vivre un deuil et non de faire son deuil. Un deuil, ça se passe beaucoup dans l’être, dans la réflexion, dans l’adapta­tion.

C’est quelque chose qui bouge : on oscille entre l’état de deuil où s’entre­croisent le chagrin, la colère et les symp­tômes dépressifs, pour ensuite aller vers l’autre sphère où la personne endeuillée se réinvestit dans la vie. Cette oscillation de l’un à l’autre peut se faire plusieurs fois dans une même journée, ou encore rester bloquée pendant un mois.

Tant que le deuil est en mouvement, qu’il y a des réactions, qu’on peut prendre des pauses, manger, dormir et répondre à ses besoins usuels, c’est un signe que le deuil est sain. Ça ne veut pas dire pour autant que c’est facile.

Le deuil se vit-il différemment entre un homme et une femme?

Là, je vais être prudente, parce qu’on ne peut pas généraliser. Disons tout de même que les femmes sont plus dans la sphère des réactions de deuil et ont besoin de parler, alors que les hommes sont plus dans la sphère de réinvestisse­ment et le mode action. Ils ont besoin de faire des choses, de regarder vers l’avant, de se changer les idées.

Y a-t-il des facteurs qui influencent l’évo­lution du deuil?

L’histoire de vie de la personne endeuil­lée, sa préparation au deuil, les deuils passés non résolus, les outils disponibles et le réseau de soutien sont des facteurs importants.

Tout au long de notre vie, on se construit une maison. On commence par les fon­dations, puis on monte la structure et on choisit les couleurs. Au fil des étapes, le coffre à outils prend forme. Si on a appris qu’il fallait contenir sa peine et ne pas en parler, il est fort probable que l’on se retrouve avec des deuils non résolus. Le travail sera alors plus exigeant, car l’en­deuillé devra affronter plusieurs deuils en même temps.

Si vous aviez à proposer une trousse de secours aux personnes endeuillées, de quoi serait-elle composée?

Lorsqu’on parle de trousse, on parle de survie. Il faudrait donc à la base qu’elle puisse répondre à des besoins primaires tels que manger, dormir, respirer. Donc, il serait bien d’y retrouver des repas préparés, des chocolats, des tisanes et des techniques de respiration pour se recentrer quand la panique s’installe ou pour aider à s’endormir.

Mais dans le deuil, les besoins primaires se situent aussi dans l’expression des émotions, l’apaisement, le soutien, les objets réconfortants. Le coffre peut ainsi se compléter avec une doudou, des huiles essentielles, un cahier pour écrire, des photos du défunt, des souvenirs importants, des rituels apaisants et une liste avec des numéros de téléphone de personnes ou d’organismes à contacter en tout temps.

Avoir une trousse permet de se mettre en mode convalescence, car un deuil, c’est comme une plaie ouverte dont il faut prendre soin. Les gens autour ne sont pas toujours conscients du tra­vail que ça implique, d’où l’importance d’avoir dans sa trousse des éléments de soutien.


Chantal Verdon, inf. Ph.D.
Professeure agrégée
Membre des groupes de recherche CERIF/RRISIQ
UQO|Campus de Saint-Jérôme
Photo : François Lafrance

Texte tiré de Auprès de vous - fascicule 1
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Illustration : Pixabay

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