Pierre était un bon vivant qui appréciait la compagnie des gens. Il était connu de tous comme celui qui aimait prendre un coup sans jamais être déplacé. Pour ses funérailles, sa famille proche voulait faire un événement à son image. Comme Pierre n’était pas du genre à faire dans la dentelle, on opta pour quelque chose de simple. Et puisqu’il n’était pas croyant, on avait décidé qu’une courte cérémonie en présence des cendres aurait lieu à la maison funéraire plutôt qu’à l’église.
Fabien, son fils aîné, se chargea de rédiger un hommage pour son père en prenant soin d’y inclure quelques anecdotes liées à son penchant. Et comme il aimait vraiment cet homme, il alla jusqu’à lui offrir une urne aux contours s’apparentant étrangement à la forme d’une cruche à vin. De cette façon, se dit-il, son père ne se sentirait pas trop dépaysé le reste de son éternité.
Toujours sur le même élan, en guise de buffet, l’assemblée fut invitée à venir prendre une bouchée et trinquer à la mémoire du défunt au resto-bar du coin. De là où il était, Pierre devait certainement être touché par cette délicate attention – du moins, c’est ce que Fabien espérait – car les efforts investis dans le déroulement de cette cérémonie d’adieu avaient pour objectif principal de lui démontrer l’amour qu’il lui témoignait.
Aujourd’hui, de plus en plus de cérémonies sont comme celle de Pierre, c’est-à-dire personnalisées. Elles sont conçues en mettant l’accent sur le défunt, ses préférences, ses loisirs, ses passions. Il n’est pas rare de retrouver des agrès de pêche ou un chandail de hockey aux funérailles d’un sportif. À la rigueur, certains hommages prennent même l’allure d’un « bien cuit », ce qui généralement est reçu comme un vent de fraîcheur quand l’émotion est à son comble. Le rire devient ainsi une soupape appréciée, ce qui n’est pas mal en soi, à la condition de ne pas s’en servir pour fuir une saine expression des émotions associées à la tristesse d’avoir perdu un être cher.
Avec les funérailles personnalisées, ont veut garder une certaine continuité entre la vie du défunt et sa mort. Dire au monde entier : « Voilà ce qu’il était, voilà comme on l’aimait. » Évidemment, on tentera de le présenter sous son plus beau jour et de faire valoir ses qualités. Une vie vient de se terminer, une vie de défis, d’épreuves à surmonter, une vie d’amour, de partage et de liens tissés mérite bien d’être soulignée.
À n’en pas douter, pour la plupart des gens, le défunt occupe la première place dans le déroulement des funérailles. Mais qu’en est-il des endeuillés? De la famille proche qui vient de perdre un des leurs? Peut-on concevoir qu’elle puisse occuper une place tout aussi importante? Certaines personnes vont même jusqu’à dire que les funérailles sont surtout pour les vivants, afin qu’ils puissent recevoir le soutien nécessaire pour traverser l’épreuve qui les afflige. Dès lors, ce temps d’arrêt que constituent les funérailles devrait tenir compte de ce qui est bénéfique à l’évolution du deuil, donc, aux endeuillés tels que Fabien et sa famille.
Lorsque Fabien organisa les funérailles de son père, il régla tous les détails consciencieusement de manière à ne pas provoquer un surplus d’émotions, dans le respect de ce que son père aurait aimé. Mais il escamota un aspect majeur : il oublia de tenir compte de ses besoins personnels. S’il avait su que la petite bouchée prise au resto-bar du coin ne lui permettrait pas d’avoir l’intimité souhaitée pour évoquer des souvenirs et recueillir des gestes de solidarité, peut-être aurait-il fait autrement. Car l’ambiance de l’endroit, bruyante et impersonnelle, n’aida en rien à intégrer l’ampleur de la perte qui venait de le frapper.
De prime abord, il peut sembler évident qu’un endeuillé soit à même de mesurer l’impact de cette perte sur sa vie et de choisir ce qui lui fait du bien. Mais Fabien n’avait pas vraiment conscience de ce qui l’attendait. Comme la plupart d’entre nous, devant la mort, il a perdu tous ses repères. Dans un monde où l’accent est mis sur la productivité et la rentabilité, l’expression du chagrin n’est pas toujours aisée. Il arrive trop souvent que l’on choisisse de s’oublier afin d’éviter la prise de conscience nécessaire à un cheminement de deuil.
Par conséquent, le temps des funérailles se fait donc de plus en plus court… on espère ainsi s’épargner des peines et poursuivre sa vie sans trop sentir de souffrance. Et pourtant, peut-il y avoir meilleur moment que des funérailles pour réaliser la fragilité de la vie… pour rendre hommage au défunt et à ce qu’il a légué… pour vivre son chagrin et recevoir du soutien…
Certes, il est difficile de laisser partir quelqu’un qu’on aime. C’est pourquoi ce temps d’arrêt qu’imposent les funérailles devrait se vivre dans un milieu propice à l’expression des émotions, entouré des siens, où le personnel en place peut aider les familles éprouvées à trouver un sens à tout ça.
Donner un sens aux funérailles, voilà un mandat que les coopératives membres du réseau relèvent avec brio en mettant l’accent sur une approche significative qui dépasse le fait de les personnaliser ou d’inventer des funérailles au goût du jour. Un mandat si important d’ailleurs que la Fédération des coopératives funéraires du Québec a décidé d’offrir aux coopératives membres un ambitieux programme de perfectionnement appelé La Symphonie. Un programme orchestré avec doigté afin de placer la mort au rang des grands événements de la vie, en la saluant de telle sorte qu’elle puisse modifier notre façon de vivre et nos rapports entre individus.
Les notes du premier mouvement de La Symphonie ont été lancées l’automne dernier. Des notes rassembleuses qui prennent leur élan dans le tempo des valeurs chères aux coopératives. En proposant des gestes et des rites qui sont bénéfiques à l’endeuillé, les coopératives démontrent encore une fois combien elles sont « riches de leurs valeurs ». D’une main empreinte de compassion, elles dirigent les familles vers une démarche de réflexion à propos de ce qu’elles souhaitent vivre et faire vivre à leur entourage lors des funérailles.
Peut-on terminer des funérailles sur un cercueil ouvert? Y a-t-il autre chose qu’une envolée de ballons pour illustrer l’envol d’une âme vers l’au-delà? Est-il souhaitable d’apporter les cendres à la maison? Quel rituel utiliser pour faire ses adieux? Voilà tout autant de questions que l’on est en droit de se poser quand un être cher vient de nous quitter.
Tenter d’y répondre, c’est saisir une occasion de déterminer ce qu’il importe de transmettre aux générations à venir en matière de rituels. C’est aussi se donner l’opportunité de participer à la création d’une œuvre qui restera gravée à jamais dans le cœur de chacun et dans la mémoire collective.
Quand ma belle-mère décéda l’année dernière, nous avons pu saisir tout l’importance de s’investir dans l’élaboration des funérailles. S’activer dans l’exécution de certaines tâches permet d’exprimer à l’être cher qu’on est encore disponible pour lui. Rapidement, la famille fut mise à contribution pour trouver un élément clé qui pourrait être intégré à la cérémonie. Une question bien anodine, mais qui cible directement le rôle que les coopératives entendent donner aux familles endeuillées. Les enfants se rappelèrent alors avoir vu leur mère manger des Chipits tous les soirs après sa journée de travail, et ce, depuis leur tout jeune âge. Un bol de pépites de chocolat fut donc installé devant son cercueil.
Mais pour qu’un rituel puisse toucher l’assistance, il doit pouvoir être compris de tous. Voilà pourquoi, lors de l’hommage, un de ses fils expliqua ce que ce bol représentait pour eux : le répit de leur mère après une vie bien remplie. Au terme de son témoignage, l’assistance fut invitée à partager ce petit péché mignon à la mémoire de leur mère. C’est ainsi qu’en file indienne, les personnes présentes vinrent « communier » d’un même cœur à ce rituel de partage inspiré par une femme généreuse qui prenait plaisir à la vie.
Les gens qui étaient là en parlent encore comme de funérailles qui les ont marqués… pour les bonnes raisons : celles qui font vivre la mort avec émotion et respect, celles qui enrichissent la vie des qualités léguées par ceux qui nous ont quittés.
Par Maryse Dubé