Les rituels funéraires ont beau changer, certaines choses demeurent, telle la place qu'occupent la musique et les chants lors de ce difficile passage. Qu'il s'agisse de musique profane (chansons populaires, opéras, marches funèbres), ou de musique religieuse (motets, odes, cantates, requiem), la musique fait partie des funérailles depuis toujours. Nous puisons aujourd'hui dans un répertoire plus vaste, mais peu importe la variété des choix qui s'offrent à nous, la musique a toujours pour effet d'appuyer les rituels funéraires qui, d'une certaine manière, sont une sorte de voie d'accès au sacré.
Photo : Alexandre Delbos
On dit que la musique permet d'accéder à un niveau de grâce offrant un véritable baume pour l'âme en quête de réconfort. On dit aussi qu'elle est une trame de fond sur laquelle on peut s'appuyer pour reprendre son souffle, quand la route est parsemée d'obstacles difficiles à surmonter. Et Dieu sait combien pénible est le chemin du deuil. « Je t'appelle et tu ne viens pas, Ton absence est entrée chez moi.1 » N'est-ce pas pour cela que, de tout temps et de toutes cultures, la musique et les chants y ont une place privilégiée?
La mort serait d'autant plus triste s'il n'y avait pas quelques notes sur lesquelles s'accrocher pour ne pas sombrer. « Puisque ta maison, aujourd'hui c'est l'horizon, Dans ton exil, essaie d'apprendre à revenir.2 » Pourtant, il faut bien admettre que la musique sait se faufiler dans ce repli du cœur où se terrent les larmes les plus lointaines. Faut-il conclure qu'elle augmente la douleur pour certains? Marilou, du site d'entraide La Gentiane3, a su trouver les mots pour exprimer de quelle manière la musique opère. « Je crois que la musique a pour rôle de faire sortir des émotions, de les accompagner, de nous accompagner ».
Ainsi, la musique aide à prendre conscience des émotions qui nous affligent « Je suis un saule inconsolable4 » et encourage l'expression du chagrin « Ne retiens pas tes larmes5 » La présence de musiciens ou de choristes sur place ajoute une touche plus personnelle. Le choix des pièces musicales peut se faire en fonction des goûts spécifiques du défunt et de la famille, ou encore à partir de la charge émotive qu'elles contiennent. Les chants utilisés sont la plupart du temps porteurs de messages et aident à donner un sens à la perte, car l'essentiel « C'est inspirer à l'autre un sentiment si fort, Qu'il pourrait nous survivre au-delà de la mort6 »
Les paroles des chansons sont un puissant véhicule pour aider à panser les plaies, ou encore un déclencheur extraordinaire pour contacter la souffrance inhérente à la perte d'un être cher. Il s'agit de déterminer à quel moment on veut les voir entrer en action et quels objectifs on souhaite atteindre.
De la musique pour aider à accepter
Plusieurs éléments entourant le décès peuvent être repris au moment des obsèques. Dès lors, le processus de deuil se met en marche. Prendre le temps de dire adieu revêt tout son sens lors d'une mort subite et inattendue. « On ne choisit pas toujours la route Ni même le moment du départ7 ». Quand le choc nous rend sans voix, que les mots sont de trop, il y a toujours la musique pour traduire ce qu'on ne parvient plus à dire. À cet effet, l'Ave Maria de Schubert est une œuvre sans âge qui a su traverser le temps et qui permet encore aujourd'hui une certaine réconciliation avec les épreuves de la vie.
Et que dire devant la mort d'un enfant qui a perdu sa lutte conte la maladie... Laisser aller ce petit être pour un ailleurs inconnu demande une force surhumaine. C'est alors qu'entrent en scène les auteurs, compositeurs et interprètes de ce monde, par leur extraordinaire capacité d'utiliser leur talent pour consoler les âmes blessées. La tâche fait appel à une sensibilité sans pareille, et est relevée avec brio en maintes occasions. Il est difficile de mettre en doute l'efficacité des résultats quand on écoute Vole de Jean-Jacques Goldman, chanté par Céline Dion : « Puisque rien ne te soulage, Vole à ton dernier voyage, Lâche tes heures épuisées, Vole tu l'as pas volé, Deviens souffle, Sois colombe, pour t'envoler8 »
Lors d'un deuil par suicide, l'incompréhension, le sentiment de culpabilité et la honte s'ajoutent souvent au chagrin. Il n'est pas rare d'observer chez ces familles endeuillées un profond silence devant les circonstances du décès. Certains vont même jusqu'à limiter les funérailles aux proches seulement, de manière à ne pas avoir à nommer la tragédie qui vient de les frapper. Lara Fabian, dans sa chanson Ces oiseaux-là, apporte un certain éclairage pour aider à accepter le geste posé. « Les suicidés sont des oiseaux, Leur désespoir est sans remords, Car ils ont reçu de la mort, Les ailes de la liberté.9 » Francis Cabrel, pour sa part, offre des paroles qui prennent la forme d'un ultime message destiné aux survivants : « Elle disait "j'ai déjà trop marché, mon cœur est déjà trop lourd de secrets, trop lourd de peines" Elle disait "je ne continue plus, ce qui m'attend, je l'ai déjà vécu, c'est plus la peine"10 » On peut comprendre qu'un texte aussi fort puisse aider à mieux toucher le mal de vivre qui conduit au suicide.
Une place pour le défunt au dernier mouvement de sa partition
Depuis quelques années, il est de plus en plus courant de voir des funérailles teintées de la vie du défunt. Afin de souligner ce qu'il était et en quoi son passage sur terre nous a marqués, des traits particuliers ou des goûts spécifiques sont mis en évidence. Ces rituels répondent à un besoin de rendre hommage à la personne décédée. Ainsi, le fait d'introduire sa musique préférée tout au long des obsèques devient une occasion de se rappeler l'être aimé dans ce qui le caractérisait et, par le fait même, de le remercier pour ce qu'il a su apporter. « Merci pour tout cet amour partagé, Nous serons plus grands de t'avoir aimé, Merci pour tout l'amour en héritage, Ce chant, nous te l'offrons en hommage11 »
Par ailleurs, certains saisissent l'occasion pour envoyer un message à la personne décédée, « J'entends de moins en moins tes mots, Depuis qu'il te pousse des ailes dans le dos12 ». D'autres préfèrent laisser la tribune au défunt, afin qu'il puisse, par la voix de l'art, livrer à l'assistance quelques paroles d'adieu : « Je vous emporte dans mon cœur, Par-delà le temps et l'espace, Et même au-delà de la mort, Dans les îles où l'âge s'efface13 ».
Parce que la vie continue...
Personne ne remet en cause le bien-fondé de la musique et des chants à un moment où tout le soutien possible est requis. « La vie c'est court, mais c'est long des p'tits bouts14 », nous disait Dédé Fortin (Les Colocs). Des grands bouts, corrigeront les endeuillées qui peinent à se relever de l'épreuve qu'ils subissent. Parce que la vie continue, il faudra une bonne dose de courage pour remettre en branle le navire, et retrouver l'espoir en des jours heureux. Pour ce faire, se tourner vers ceux qui restent, sans toutefois oublier la personne décédée, demeure encore la meilleure voie de secours.
Tout au bout de nos peines
Jusqu'au bout de nous-mêmes
Une aile au paradis
Et l'autre dans la vie
De nos mains qui se tiennent
De nos yeux qui apprennent
Qu'aurons-nous fait de vivre
Qu'aurons-nous fait de nous15
Texte : Maryse Dubé
Photo : Alexandre Delbos
Publié dans la revue Profil
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- Ton absence, Yves Duteil
- Puisque tu pars, Jean-Jacques Goldman
- La Gentiane, site d'entraide pour personnes endeuillées
- Le saule, Isabelle Boulay
- Ne retiens pas tes larmes, Amel Bent
- L'essentiel, Ginette Reno
- Si fragile, Luc De La Rochelière
- Vole, Céline Dion
- Ces oiseaux-là, Lara Fabian
- C'était l'hiver, Francis Cabrel
- Adieu, Fleur-Lise
- Tu peux partir, La Chicane
- Je vous emporte dans mon coeur, Gilles Servat
- Le répondeur, Les Colocs
- Tout au bout de nos peines, Isabelle Boulay