« Tant que la vie est là, nous nous centrons sur elle. Notre objectif n'est pas de faire accepter la mort, mais d'aider à vivre le mieux possible les derniers moments. D'améliorer ce qui reste de qualité de vie au patient. »
Qualité de vie. Voilà des mots qu'on n'a pas l'habitude d'associer à l'état d'une personne au seuil de la mort ! Pourtant, lorsqu'il prononce ces mots, Michel L'Heureux ne fait qu'exprimer la philosophie qui sous-tend toute l'action de l'institution de soins palliatifs qu'il dirige. Première du genre à avoir vu le jour au Canada, la Maison Michel-Sarrazin, de Québec, s'emploie depuis 1985 à améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de cancer en phase terminale.
Comme à la maison
Les patients qui sont admis – gratuitement – dans cet hôpital privé à but non lucratif n'ont plus que quelques semaines à vivre. Tout espoir de guérison a été abandonné. Mais la personne, elle, n'est pas abandonnée : elle est traitée avec compassion par un personnel et des bénévoles attentifs qui s'efforcent de soulager sa souffrance, autant physique que morale. Les proches sont admis 24 heures par jour, et ils reçoivent le soutien nécessaire notamment pour participer aux soins selon leurs possibilités. Même les animaux de compagnie ont leur place dans cet environnement chaleureux à l'atmosphère paisible, « comme à la maison ». C'est d'ailleurs pour maintenir cette ambiance familiale que le nombre de chambres a toujours été maintenu à 15.
Depuis trois ans, cependant, la Maison accepte aussi des malades en phase pré-terminale, sur une base quotidienne, dans le nouveau pavillon construit sur son terrain. Avec ce premier centre de jour en soins palliatifs au Québec, elle vient offrir un support aux CLSC et aux médecins de familles qui traitent des malades désireux de rester chez eux le plus longtemps possible ou qui veulent mourir à domicile.
L'un des objectifs de Michel-Sarrazin est de contribuer à changer les attitudes des personnes impliquées dans les soins aux mourants et à améliorer la qualité des soins médicaux qu'on prodigue au malade, quel que soit l'endroit où seront vécus les derniers jours. Dans cette optique, la Maison dispense de la formation non seulement à ses bénévoles, mais aussi à des professionnels de la santé de plusieurs établissements ainsi qu'à des étudiants stagiaires, en plus d'offrir conférences et ateliers à différents groupes cibles. D'autre part, en collaboration avec l'Université Laval, elle mène des recherches visant à faire progresser les connaissances en soins palliatifs.
Une offre insuffisante
Depuis ses débuts, la Maison Sarrazin a fait plusieurs émules, aussi bien en Europe qu'ailleurs au pays. Au Québec, 13 autres maisons de soins palliatifs ont vu le jour, et pratiquement chaque année amène un nouveau projet quelque part. Même des hôpitaux conventionnels réservent aujourd'hui quelques lits aux soins palliatifs. Pourtant, l'offre est encore largement insuffisante. Rien qu'à la Maison Sarrazin, près de 200 demandes par année ne peuvent être satisfaites (pour 300 admissions). « Idéalement, plaide le directeur général, notre système de santé devrait être en mesure d'offrir des soins palliatifs à quiconque en manifeste le désir ; personne ne devrait mourir mal soulagé. »
Dans les hôpitaux conventionnels qui offrent ce type de service, les soins professionnels au patient sont d'aussi bonne qualité que dans les maisons spécialisées, selon M. L'Heureux; mais les installations y sont rarement suffisantes, et on n'y trouve pas ce contexte familial qui caractérise les maisons de soins palliatifs. En outre, les bénévoles ne peuvent pas assurer la même présence auprès des malades, notamment à cause de la syndicalisation en milieu hospitalier public.
À Michel-Sarrazin, les bénévoles sont au cœur de l'action. Alors que la liste de paye de l'établissement comprend 80 noms (surtout des emplois à temps partiel), celle des bénévoles en comporte 300. Ces personnes œuvrent autant à l'accompagnement des malades (environ le tiers) qu'à l'accueil, à l'entretien des bâtiments et du terrain, à la lingerie, au secrétariat, au suivi de deuil et à une foule d'autres activités nécessaires au fonctionnement de l'institution. « En tout, évalue Michel L'Heureux, les bénévoles nous donnent pas moins de 40 000 heures chaque année. » Si tout ce travail était rémunéré, cela représenterait des déboursés d'environ 500 000 $ pour l'institution, dont le budget actuel (assuré par une subvention et des levées de fonds) est de 2,8 millions $.
L'établissement est très sélectif dans le choix de ses bénévoles. « Nous scrutons les qualités personnelles des candidats, leurs motivations, leur discrétion et leur capacité de se centrer sur le malade », explique le directeur général. Qu'ils travaillent directement auprès des patients ou dans les autres services (puisqu'ils sont tous appelés à côtoyer les bénéficiaires à un moment ou l'autre), ceux qui sont choisis doivent partager la philosophie de la Maison, entre autres sur la dignité et le respect auxquels les malades ont droit. « Par exemple, illustre M. L'Heureux, il ne saurait être question qu'un bénévole vienne ici dans l'espoir de convertir des mourants. » Et ils doivent souscrire au principe de la Maison de refuser toute euthanasie.
Ajuster les soins
L'euthanasie est le dernier recours de ceux qu'on n'a pas réussi à soulager, fait valoir M. L'Heureux : « La plupart du temps, elle est demandée par une personne qui a peur d'être un fardeau – ce qui ne saurait être le cas ici – ou à cause de la douleur. Quand cela se présente, nous essayons de comprendre pourquoi cette personne le demande et de négocier avec elle des ajustements à ses soins, comme une augmentation de la sédation. Les douleurs d'ordre existentiel ou spirituel sont plus difficiles à soulager. Dans ces cas, nous favorisons d'autres approches, avec la famille notamment. »
Peu importe la situation, la mort reste une expérience difficile, et la personne est seule pour la traverser. Pour une « belle mort », il y en a peut-être dix qui se vivent différemment, pas nécessairement dans la sérénité, évoque M. L'Heureux. « Il ne faut pas idéaliser ce qui se passe ici, dit-il. Nous sommes des humains, susceptibles d'erreurs et de faiblesses. Mais je pense que, de façon générale, nous atteignons notre objectif d'améliorer la qualité de vie de nos malades. »
Quelque 4 600 admissions depuis 1985, des dons de toutes sortes et des multitudes de témoignages sous toutes les formes en attestent de façon éloquente !
Préposé aux soins bénévoles
Dans sa vie de tous les jours, Gervais Gagnon est informaticien à l'Université Laval. Mais un soir par semaine, pendant un quart de huit heures, et parfois aussi le dimanche après-midi, il se transforme en préposé aux soins à la Maison Michel-Sarrazin : déplacement des patients, changement de lits, soins de toilette... Tout cela bénévolement, depuis quatre ans.
« C'est ma deuxième carrière, dit-il. À 17 ans, je voulais travailler dans le monde médical. Mais ma vie a emprunté un autre cours. » Lorsqu'il est finalement entré dans ce monde, par une porte plutôt discrète, à l'âge de 46 ans, M. Gagnon est immédiatement tombé en amour avec son nouveau travail. Il prévoyait arriver dans un cadre hospitalier formel, rigide, mais a découvert un milieu humain où les contacts chaleureux, les conversations intimes et les confidences amicales ont leur place. « J'ai été séduit par l'approche de la Maison vis-à-vis la mort. Nous avons tous peur de cette échéance; mais ici, la mort est douce, parce que l'accent est mis sur la vie et que les malades sont entourés de compréhension. »
M. Gagnon aime le contact avec les patients. Il se sent à l'aise avec eux et finit par apprivoiser même les moins enclins à sociabiliser. « Nous ne sommes pas là à leur lire des histoires ou à leur parler de la mort, dit-il. Notre accompagnement se fait par les soins que nous leur donnons, à travers des gestes, un sourire, une parole qui réconforte... J'aime leur donner des petites gâteries. » Comme à cette dame de 81 ans qui ne recevait jamais son plateau de nourriture sans une fleur placée à côté de son assiette. « Ça la faisait un peu revivre. » Ou à ce monsieur à qui il passait une débarbouillette humide sur le torse. Les soins corporels sont souvent l'occasion d'un moment intime avec le malade, raconte-t-il. « Quand vous l'aidez à manger ou quand vous lui faites la barbe, il s'ouvre plus facilement; c'est alors qu'il vous donne les vraies réponses à vos questions. »
Avec de tels contacts, ne finit-on pas par s'attacher à ses patients et à vivre des deuils à répétition ? « Nous savons ce qui se passe ici, répond M. Gagnon. Nous sommes parfois très attachés et nous éprouvons souvent de la peine, mais ce n'est pas du deuil. J'ai vécu le deuil de ma mère l'an dernier; c'est très différent. »
« Au contraire, ce travail m'apporte beaucoup de quiétude et de satisfaction, par exemple quand je réussis à tirer un sourire d'un malade, ou quand je sens que je réconforte la famille, ne serait-ce que par un mot d'encouragement. » Sans parler de la solidarité et de l'amitié qui se développent entre les bénévoles. Et même avec le personnel médical, « puisqu'il n'y a pas de hiérarchie entre les soignants ».
Durant ses vacances annuelles, M. Gagnon continue de venir faire son quart à Michel-Sarrazin. Cela, en plus de l'aide en informatique qu'il apporte à l'institution. Et des heures de travail manuel qu'il ajoute à celles de tous ses collègues bénévoles. L'an passé, ce sont justement les préposés aux soins (des femmes à 80 %) qui ont... repeint l'édifice.
Par Serge Beaucher
Octobre 2003