L'enfant en deuil

Enfance et deuil, un paradoxe ?

On a longtemps pensé que, face au deuil, les enfants avaient la capacité de rebondir, que leur jeune âge et leur faculté d'adaptation les protégeaient, en quelque sorte, d'une certaine compréhension de l'événement et de ses retombées émotionnelles... Et, comme le dit la croyance populaire, ce que l'on ne sait pas ne fait pas mal. En d'autres termes, ce que l'enfant ne pouvait pas comprendre ne lui faisait donc pas mal... Mais, en réalité, il n'en est rien.

Grand-papa dort

L'enfant, s'il n'a pas la même compréhension de la mort que l'adulte, va néanmoins être touché émotionnellement. En effet, face au deuil, il vit les mêmes émotions — la colère, la tristesse, la culpabilité, la peur...— et les mêmes étapes. Mais ses réactions vont être différentes. Souvent, les changements s'observeront à travers les comportements de l'enfant (régression, agressivité, isolement) et ils varieront en fonction de son âge et de son tempérament. Sa compréhension de la mort va évoluer au cours de son développement et il va faire son deuil jusqu'à l'âge adulte, étape par étape...

Dès son plus jeune âge, l'enfant se questionne au sujet de la mort. Il mime, imite la mort, il cherche, par ses jeux, à l'apprivoiser... Comme cette petite fille de 3 ans, trouvée allongée sur le canapé du salon, les yeux fermés, imitant Blanche-Neige dans son cercueil de verre attendant le baiser du Prince charmant qui la ramènerait à la vie !

Un jour que nous faisions une promenade à vélo, mon fils, alors âgé de 4 ans, m'avait dit en trouvant un oiseau mort « Regarde maman, l'oiseau est un peu mort ! » Parole surprenante pour un adulte, mais pas pour un jeune enfant. Pour lui, il était clair que si l'oiseau était un peu mort, il pourrait redevenir, un peu vivant plus tard...

Pour le jeune enfant, la mort n'est pas irréversible (et elle est parfois confondue avec le sommeil) et elle n'est, par voie de conséquence, pas dramatique non plus. On peut être mort et redevenir vivant, ailleurs ou à un autre moment.

En grandissant, l'enfant va prendre conscience de l'universalité et de la permanence de la mort. Il va réaliser que tout le monde meurt et que l'on peut mourir à tout âge. Il va graduellement comprendre que tout ce qui vit... est appelé à mourir un jour.

L'adolescent a la même compréhension de la mort que l'adulte, mais avec tout le questionnement propre à cette étape de la vie : à quoi cela sert-il de vivre si c'est pour mourir ? Il vit une période de perte, il quitte le monde de l'enfance, et avec lui, la croyance en la toute-puissance des adultes. Par ses comportements à risques, il se mesure parfois à la mort.

Questions de parents, besoins d'enfants

Comment puis-je lui annoncer la mort de son grand-père ? Je ne veux pas le traumatiser...Quel impact le décès va-t-il avoir sur l'avenir de mes enfants ? Mes parents trouvent que je parle trop à mes enfants du décès de leur frère, mais je ne veux pas qu'on l'oublie...

Toutes ces questions et bien d'autres sont souvent présentes dans la bouche des parents. Je sens à travers elles leur désir de bien faire, de ne pas se tromper, mais aussi leur peur de faire souffrir leur enfant, la crainte de ne pas savoir quoi dire et de réagir maladroitement. Sans oublier aussi la peur d'être touché par la peine de leur enfant et de perdre le contrôle de leurs propres émotions...

Mais il est important aussi que l'enfant puisse voir son parent exprimer de la peine ou de la colère... c'est pour lui comme une autorisation tacite à pouvoir en faire autant. En observant le comportement des adultes, un enfant apprend comment se comporter dans de telles circonstances... Si l'adulte parle ouvertement de ses émotions, il y a de bonnes chances pour que l'enfant en fasse autant. Le psychiatre et spécialiste du deuil, Michel Hanus, le dit quand il écrit : « C'est l'entourage de l'enfant qui fait le deuil de l'enfant. »

Pour se sentir en sécurité, l'enfant doit sentir que son parent n'est pas anéanti par la perte. Il est important pour lui de savoir que son parent a du soutien et des ressources pour faire face sa peine. Si l'enfant sent la très grande fragilité du parent, il peut alors taire ses propres émotions et protéger son parent. La fragilité du parent insécurise l'enfant ; le deuil de l'enfant dans un tel contexte est souvent remis à plus tard.

Quoi dire et comment le dire ?

L'enfant en deuil souhaite être écouté, il souhaite aussi avoir des réponses aux questions qu'il se pose. Il a besoin d'être rassuré, de savoir qu'on va s'occuper de lui. Il a besoin aussi qu'on lui confirme qu'il est normal de vivre toutes sortes d'émotions, parfois même contradictoires : je l'aimais ; je suis triste et je suis fâché aussi. Pourquoi m'a-t-il abandonné ?

L'enfant capte ce qui n'est pas exprimé, il sent ce qu'on lui cache ou si on enjolive la situation, il perçoit le malaise de l'adulte, l'émotion qui est présente, mais pas ouvertement exprimée...

Le silence face à la mort ou aux circonstances de la mort apporte plus d'anxiété que la vérité, car il laisse place à l'imagination de l'enfant et celui-ci peut bâtir toutes sortes de scénarios dans sa tête, souvent plus terribles encore que la réalité.

Pour faire comprendre à un enfant jeune ce qu'était la mort la psychanalyste Françoise Dolto disait simplement : « la personne a cessé de vivre ».

Dire à l'enfant ce qui s'est passé honnêtement, c'est aussi lui transmettre qu'il compte aux yeux de l'adulte, qu'il a le droit de « savoir » comme son entourage et que l'on est à ses côtés pour le soutenir. Il aura le sentiment ainsi de faire partie de la famille et bénéficiera de son soutien.

Quelques pistes...

Échanger et accompagner des enfants en deuil, c'est utiliser leurs moyens d'expression privilégiés : le dessin, le bricolage, les histoires, les jeux de rôles avec des marionnettes ou des personnages, des poupées, des visualisations... L'écriture aussi, pour les plus grands.

Lorsqu'un enfant en deuil dessine sa famille par exemple, il indique déjà beaucoup de choses par son dessin : qui est représenté, la personne décédée fait-elle partie du dessin, quelle place chaque personne occupe-t-elle, quelles tailles ont les personnes représentées, qu'expriment-elles ? Par le biais d'objets ayant appartenu à la personne décédée l'enfant va pouvoir évoquer son lien avec elle, ses manques, ses émotions, ses regrets, ses craintes...

Un livre d'histoire ou un film dans lequel il est question de perte ou de mort peut être un bon déclencheur pour favoriser l'échange avec l'enfant. Spontanément, celui-ci aura tendance à s'identifier au personnage et pour finir, à parler de lui en évoquant le personnage en question...

À travers ses jeux, le jeune enfant met en scène ses questionnements concernant la mort. Il parle de ce qu'il vit... sachons observer et écouter ce qu'il a à nous dire.

L'enfant en deuil a besoin d'être écouté, rassuré, de sentir qu'il n'est pas tout seul. Il souhaite connaître la vérité et comme le dit si joliment une thérapeute du deuil : la vérité est le ciment de la confiance... sachons être digne de la confiance de l'enfant.

 

À quoi voit-on qu'un enfant est en deuil ?

Voici quelques manifestations de deuil chez l'enfant. Il est important de surveiller leur intensité et leur durée :

  • Tristesse, pleurs, manque d'intérêt ;
  • Impatience, colères, caprices, agressivité ;
  • Anxiété, nervosité, peur de la mort : la sienne ou celle des autres ;
  • Phobies ;
  • Différents symptômes physiques (maux de ventre, douleurs diverses, constipation, etc.) ;
  • Perturbation au niveau de l'appétit ou du sommeil ;
  • Régressions : propreté, peur du noir, parle en bébé ;
  • Repli sur soi, difficultés face aux situations de séparation (garderie, école) ;
  • Diminution du jeu ;
  • Problèmes à l'école : difficultés d'apprentissage, baisse de la concentration, troubles du comportement, difficultés relationnelles.

Par Claire Foch
Avril 2007

Écrire sa peine pour faire renaître l’espoir