Il y a des détours qu’on voudrait s’éviter, principalement lorsqu’ils bouleversent nos acquis ou nous obligent à nous réinventer. Pourtant, ce sont bien souvent ces lieux où nul ne veut aller qui ont le pouvoir de nous unifier. De nous permettre d’aller de l’avant. Et malgré tous les méandres qui peuvent surgir du quotidien, ces deux-là auront su, ensemble, nous démontrer que les détours sont là pour nous rapprocher… et nous garder vivants.
Le 1er juillet 2016, vous avez été victime d’un grave AVC. Comment avez-vous réagi quand vous avez pris conscience que vous auriez pu mourir ?
Josée : Je n’ai jamais pensé à ça. Jamais. Même si l’événement a changé beaucoup de choses dans ma vie, je ne me suis jamais dit « Mon Dieu, j’aurais pu mourir ». Beaucoup de monde s’inquiète, mais moi je ne suis pas comme ça. Heureusement, car c’est bien plus facile.
Qu’est-ce qui vous a le plus aidée pendant votre séjour à l’hôpital alors que vous réalisiez l’ampleur des dommages ?
Josée : En fait, les médicaments faisaient en sorte que je n’étais pas entièrement là ; je ne réalisais pas que c’était si grave. Par contre, je savais que nos vacances d’été étaient finies ! C’était difficile, c’est sûr, mais je n’étais pas toute seule. Louis-Philippe était toujours là, et c’était ça le plus important. Encore aujourd’hui, il est tout le temps là pour moi. Je suis très chanceuse.
Vous avez attendu trois heures à l’hôpital pendant que Josée était opérée d’urgence. Comment ça se passe dans une salle d’attente quand la vie de l’être cher est en danger ?
Louis-Philippe : C’était la nuit, et j’étais entouré de gens qui étaient là pour les mêmes raisons que moi : un AVC ou un problème cardiaque d’un conjoint survenu pendant la nuit. Imagine, on est environ une vingtaine et personne ne se parle. Tout le monde est dans sa bulle à penser à l’autre sur la table d’opération et à être sur le mode solution. Ça roule vite dans ta tête, c’est intense… Et malgré tout, les trois heures paraissent trois ans. Le temps passe extrêmement lentement. Les minutes sont interminables. Je n’avais jamais eu de vrai stress dans ma vie. Et là, j’étais confronté à une question de vie ou de mort. À quelque chose d’important. À ce qui compte vraiment. Ce sont des moments où tu te sens très très vivant.
Qu’est-ce qui vous a le plus aidé à traverser l’attente ?
Louis-Philippe : J’ai un ami dans la trentaine qui a eu un accident de vélo. J’étais avec lui à l’hôpital quand ils lui ont annoncé qu’il ne marcherait plus. Il avait des enfants quand c’est arrivé. Puis, avec le temps, il a recommencé à travailler et ça ne l’a pas empêché de se créer une belle vie. Alors, penser à lui m’aidait. Il s’en était sorti de façon positive, je savais donc que c’était possible. J’avais un modèle à suivre, ça me permettait de m’accrocher.
Ça s’est passé alors que vous étiez en vacances aux États-Unis avec vos enfants, loin de votre famille et de vos amis. Avez-vous appelé quelqu’un pour vous soutenir ?
Louis-Philippe : Assez vite, j’ai appelé une super bonne amie pour lui en parler. Je voulais commencer avec elle, juste pour jaser, puis savoir ensuite qui appeler, comment faire ça. Tout de suite, ils ont proposé de venir chercher nos trois enfants qui étaient restés à l’hôtel. Ils ont fait 5 ou 6 heures de route pour être là au matin. Ça m’a aidé de savoir que mes enfants seraient avec eux.
Ensuite, comme le temps passait lentement et que j’ai eu trois heures pour penser à tout ça, j’ai décidé de créer un groupe privé sur Facebook pour donner des nouvelles à mes proches. Ainsi, même s’ils n’étaient pas à mes côtés, on se parlait, on s’écrivait, et ça faisait du bien. En tout cas, je pense que ça aidait tout le monde.
Josée : Il a pensé à tout, c’est incroyable. Il a même attendu quelques jours avant de le dire à mon père qui est toujours inquiet dans la vie et qui n’a pas une grosse santé. J’ai trouvé que c’était brillant.
Louis-Philippe : C’est avec la famille qu’on a décidé ça. Dès qu’on a su que Josée allait être correcte, on a informé son père de ce qui se passait. Ça faisait beaucoup à gérer : les enfants, l’hôpital, la famille. C’est dur de penser à tout et de bien faire les choses. Mais je me disais qu’un jour, on serait à la maison tranquilles tous les deux. Et c’est ça qui me tenait.
Comment ça s’est passé au retour ?
Louis-Philippe : Au début, j’étais très stressé, car je devenais pour ainsi dire le pilier. Mais ce n’est pas moi ça. J’ai un TDA et je ne suis pas organisé. J’ai tendance à échapper beaucoup de choses dans la vie, et Josée a toujours été très bonne pour se souvenir de tout. Je le voyais bien que je n’arriverais pas à gérer le stress au quotidien : l’inscription des enfants à l’école, les livres, les vaccins, les rendez-vous médicaux de Josée… C’était l’enfer ! Je ne suis pas bon là-dedans.
Après 7 ou 8 mois, tu le sais que ça ne se replacera pas. Alors, je me suis mis à boire. J’avais juste hâte de prendre mon verre de vin pour me calmer. J’ai consulté mon médecin, je voulais des calmants. Elle m’a plutôt suggéré de s’occuper de mon TDA. Aujourd’hui, je prends une médication, ça fait une bonne différence.
Le fait d’avoir failli perdre Josée vous a-t-il rendu plus anxieux ?
Louis-Philippe : Plus qu’elle en tout cas. Dans ma tête, en bas de 70 ans, on est en santé. Donc, tous les deux, on était corrects pour un bout. Maintenant, j’ai peur qu’il m’arrive quelque chose. Avant, je n’avais pas d’assurance-vie, j’étais jeune et je m’en foutais. Là, j’ai tout pris, au grand complet.
Quand un drame nous tombe dessus, on a tendance à se dire Pourquoi ça m’arrive à moi. Est-ce que ce fut le cas pour vous ?
Josée : Tu sais, j’étais très bonne avec les mots. Je faisais de la radio, de la télé, c’était le fun et j’aimais ça. Maintenant, c’est impossible. J’ai de la difficulté, j’ai moins de mots et j’avoue que c’est tannant. Mais au lieu de me dire « Pourquoi moi ? », je me demande plutôt « Qu’est-ce que je fais avec ça ? ». La vie n’est pas finie, alors qu’est-ce que je fais ? Ce ne sera plus jamais pareil, c’est ça la réalité. Tu peux choisir de ne plus rien faire, mais ça devient plate en câline. Moi, j’ai choisi de donner des conférences avec Louis-Philippe. C’est autre chose, mais c’est le fun aussi.
Louis-Philippe : Quand on n’a pas ce qu’on veut, on a l’impression que la vie nous a joué un tour. Mais ce genre d’événement nous fait réaliser que toutes les journées sont un cadeau, qu’il ne faut pas les gaspiller.
Dans votre livre Rebondir après l’épreuve, vous dites : « Une date qui fait peur, mais une date qui peut donner le goût de vivre encore plus ». Qu’est-ce qui vous a donné la force de vous relever quand même assez rapidement ?
Josée : Je pense que la vie est belle quand même. C’est ça le plus important. Et les enfants aident aussi. Ils sont tous là pour moi. Eux, ils continuent à vivre, ça fait que moi aussi. Parfois, ils se moquent de moi, surtout quand j’ai quelque chose d’important à dire et que je n’y arrive pas. Mais c’est pas grave, on rit ensemble. On rit beaucoup. On dit souvent qu’on est bien à la maison. Et c’est tellement vrai. Comme tout le monde, des fois c’est dur, mais pas tant que ça et ça ne dure pas.
Puis avec le temps, je pense que je suis devenue une meilleure personne. Je suis plus gentille avec les gens, j’ai changé. Je suis encore un peu raide parfois, mais pas souvent. Je parle moins, j’écoute plus et tout le monde est content !
Avez-vous su trouver un sens à ce qui vous est arrivé ?
Louis-Philippe : Quand tu ne sais plus pourquoi sourire, tu le fais pour les gens autour. Et sans le savoir, parfois tu aides : tes enfants, n’importe qui, tu les aides. Que notre histoire soit inspirante pour les autres peut donner un sens à l’épreuve. Je suis quelqu’un d’assez positif, en mode solutions. Ça fait que je ne suis jamais découragé, parce qu’on a vraiment du fun. Et quand c’est une journée difficile, je me pose un peu plus de questions. S’il y a des choses que je n’aime pas, je suis capable de le dire maintenant, de dire non et de l’enlever de ma vie ; ce que je ne faisais pas avant. Je suis un être très patient avec les autres, et il m’arrivait de faire des jobs que je n’aimais pas. Maintenant, je suis un peu plus fin envers moi-même. Le regard des autres m’affecte moins, parce que je me rends compte que la vie est courte et qu’il faut en profiter.
Quels sont les petits trucs que vous avez développés pour vous aider au quotidien ?
Louis-Philippe : On utilise beaucoup l’humour. Je dis souvent qu’il est important d’apprendre à rire de soi-même avant qu’il arrive quelque chose de grave. Parce que le lendemain d’une épreuve, ce n’est pas vrai qu’on se découvre un sens de l’humour. Mais si tu as appris à dédramatiser les petites choses de la vie, peut-être que ça va aider. Parce que moi, ce qui m’a le plus aidé, c’est le fait que Josée ait été capable d’en rire rapidement.
Josée : Je dirais aussi qu’il est bon de ne pas regarder trop loin devant. Moi je vis maintenant et c’est ça qui compte. Je ne connais même pas les dates de nos conférences, je ne veux rien savoir de ça. Je ne regarde jamais l’agenda. Je sais qu’on recommence bientôt et c’est suffisant. Une chance que j’ai Louis-Philippe pour s’occuper de tout ça.
Louis-Philippe : Il y a un plaisir à prévoir ce qu’on veut faire, planifier ce qui s’en vient, se mettre en action. Mais on ne veut surtout pas générer de stress en imaginant ce qui pourrait mal aller. Quand tu ne sais plus pourquoi sourire, tu le fais pour les gens autour. Et sans le savoir, parfois tu aides.
Vous avez votre propre définition de la résilience. Pouvez-vous nous la donner ?
Louis-Philippe : La résilience, c’est quand une partie de notre vie éclate en morceaux et qu’on parvient à les remettre ensemble pour faire une image encore plus belle que l’originale. C’est sûr qu’au début on a l’impression qu’il ne reste plus de morceaux, qu’il n’y a plus d’image. Mais une épreuve c’est une belle occasion de remettre certaines choses en perspective et de faire des changements que tu n’aurais peut-être pas osé faire. C’est ce que je trouve beau dans tout ça.
Y a-t-il des deuils qui vous ont affectés dans le passé ?
Josée : Ma mère est décédée il y a quelques années, elle avait le cancer. Tout est allé très vite et elle n’a pas souffert. Mon deuil a été plus facile parce que j’étais là pour elle. Je l’ai accompagnée, je l’ai aidée, j’étais contente de m’en occuper. Je trouve que c’est mieux quand la maladie ne dure pas trop longtemps. Elle savait que ses enfants étaient heureux et elle est partie en sachant que sa famille allait bien. C’est beau aussi la vie quand elle finit. Je pense à maman parfois, mais c’est plus une sorte de petite peine mêlée de tendresse et d’amour.
Louis-Philippe : Moi, mon père est mort en 2007 à l’âge de 59 ans d’une crise de cœur pendant la nuit. Tu penses qu’il va bien et le lendemain tu as un appel. Pour moi, ce fut plus difficile, peut-être parce que la mort a été soudaine et que je n’avais pas pu jaser avec lui ; un peu comme si notre relation n’était pas finie. Je n’ai pas eu la chance de clore notre histoire. Mon père était un homme qui regardait beaucoup en arrière. Il revenait sans arrêt sur des choses qu’il regrettait, qu’il aurait voulu faire autrement. Nos parents ne sont pas parfaits… Alors, ma meilleure façon d’en sortir a été d’apprendre à être différent.
Est-ce que ce deuil est remonté à la surface lors de l’AVC de Josée ?
Louis-Philippe : D’après moi, oui. J’avais le même feeling que quand j’ai eu l’appel pour mon père : la peur de perdre l’autre. Mais c’est tellement mélangé qu’on ne réalise pas sur le coup. Les pensées ne sont pas aussi claires. Tu penses à mille affaires en même temps. Surtout moi.
Quel est le principal piège à éviter lorsqu’on vit une situation difficile ?
Josée : Je pense que le pire, c’est d’être seul. Il faut des amis, parce que tout seul, c’est l’enfer.
Louis-Philippe : C’est vrai que c’est plus dur quand on est seul. Mais parfois, les gens sont moins seuls qu’ils ne le pensent. C’est juste qu’ils ne veulent pas déranger, ils n’osent pas demander, ce qui leur donne l’impression d’être seuls. Pourtant, les amis, ça sert à ça aussi. Souvent, ils sont contents d’aider. Et si ton réseau est limité, il y a des regroupements. Certains refusent de parler à des gens qu’ils ne connaissent pas, mais il ne faut pas se bloquer. On a besoin de monde autour de soi, même si on pense que non.
Josée : Toi, tu as changé. Avant tu n’étais pas comme ça. Maintenant que j’ai moins de mots, tu parles plus. Vraiment, ça t’a changé.
Louis-Philippe : C’est drôle à dire, mais oui, ça m’a rendu plus sociable.
Quel serait votre dernier message ?
Louis-Philippe : En parlant avec des gens qui traversent une épreuve, on apprend que la plupart veulent savoir ce qu’ils vont faire après. On veut une réponse tout de suite pour ne pas avoir l’impression que notre vie est finie : Qu’est-ce que je vais faire, ça va être quoi le reste… Quand ça vient d’arriver, on n’a pas toutes les réponses. Faut juste faire confiance au temps. Moi, maintenant, le seul conseil que je donne à ceux qui traversent une épreuve, c’est de faire confiance au temps. Et ça, tu ne peux pas le faire le lendemain. Le lendemain, tu es désemparé.
Il faut prendre son temps, ça finit par se placer. Je pense que les humains s’habituent à toutes les situations, mais c’est toujours épeurant les changements. Et c’est ça le deuil, un gros changement qu’on n’a pas demandé. On est des êtres d’habitudes, on aime nos routines. Quand on en perd une, on est désemparé, c’est normal. Mais je constate que ceux qui s’en sortent bien ont fait confiance au temps.
Entrevue et texte : Maryse Dubé
Photo : François Lafrance
Publié dans la revue Profil
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Après l’AVC de Josée qui l’a rendue aphasique, Josée et Louis-Philippe ont écrit le livre Rebondir après l’épreuve. Ils ont également pris la décision de faire des conférences en duo qui traitent de bonheur et de positivisme. Pour assister à l’une ou l’autre de leurs conférences : joseeboudreault.com