Quand nous avons appris que mon père avait le cancer, ce fut un choc, autant pour lui que pour la famille. Il avait 67 ans et on n’imaginait pas alors que ce chemin le mènerait à son décès sur une période de deux ans. De rechute en rémission, ce fut difficile émotivement, parce que le cancer s’était étendu sur plusieurs organes au fil du temps. J’ai rapidement compris que soit je me préparais, soit je me protégeais. Comme je suis de nature à anticiper les événements, je me suis préparé à la fin de vie de mon père.
Je n’ai pas toujours été proche de lui, car j’avais dû quitter le milieu familial pour suivre mon cours en thanatologie. Lorsque je suis revenu dans ma région pour exercer mon métier, nous n’habitions pas la même ville. Mais dans les dernières années, avant que la maladie ne s’installe, on avait commencé à se rapprocher. Mon père jouait de la guitare et était un amateur de musique country. J’avais installé chez lui la radio en continu par satellite. Il y avait toujours de la musique pour égayer ses journées.
Un mois avant son décès, j’avais fait l’acquisition d’une nouvelle fourgonnette pour le travail. Je lui avais indiqué que j’avais accès à de nombreux postes de musique sans publicité, dont un qui jouait du Elvis Presley 24 heures sur 24. Tout émerveillé, il m’avait dit : « Aussitôt que j’irai mieux, j’aimerais vraiment ça que tu m’amènes faire un tour. » Mais son état de santé a dégringolé de jour en jour…
Il voulait terminer sa vie à la maison, et à sa mort, nous étions tous autour de lui. C’est là que je me suis souvenu de la balade qu’il m’avait demandée. Je suis allé chercher une civière au salon funéraire et j’ai installé mon père dans la fourgonnette. On a écouté Elvis et de la musique de son temps tout le long du trajet entre Amos et Rouyn-Noranda. J’avais la main gauche sur le volant et la droite sur la civière. On était juste tous les deux. C’était moi le chanceux là-dedans; ce dernier tête-à-tête entre un père et son fils, j’ai pu le vivre pleinement.
Quand j’ai ramené son corps pour l’exposition, j’étais plus concentré sur la tâche; mes moments d’émotion je les avais vécus ailleurs. Je voulais que tout soit parfait pour l’arrivée des premiers invités. Tout au long de l’exposition au salon, des gens que je ne connaissais pas m’exprimaient à quel point ils avaient admiré mon père. Ces témoignages m’ont apporté encore plus d’amour et de fierté envers lui.
Lorsque je suis entré dans l’église en marchant devant son cercueil, c’était Patrick le fils, et non l’embaumeur, qui avait l’honneur de lui ouvrir ce dernier chemin. À la fin de la cérémonie, on a fait jouer une chanson de Bobby Hachey, Ma guitare, mon sourire, ma bonne humeur et mes chansons. C’était ce qui le caractérisait le plus. Spontanément, toutes les personnes présentes se sont mises à battre le rythme avec les mains. Ça c’est terminé en applaudissements. Ce fut une sortie d’église heureuse et gaie, à l’image de mon père. Pas de tristesse, pas de lourdeur, mais des moments d’une grande intensité.
Après toutes ces années, il est encore présent dans ma vie et je lui parle tous les jours. Sa mort a fait de moi une meilleure personne dans la vie, mais aussi dans le métier que j’exerce. J’ai appris qu’il y a des choses que les livres ne peuvent pas nous enseigner.
Patrick Blais est directeur général de la Résidence funéraire de l’Abitibi-Témiscamingue
Texte tiré de Auprès de vous - fascicule 1
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