Écrire sa peine pour faire renaître l’espoir

Il y a cinq ans, Louise Paradis apprenait une nouvelle bouleversante : Madeleine, sa sœur bien aimée était décédée dans un accident de voiture. Ce départ prématuré de quelqu'un d'aussi proche suffisait déjà à la plonger dans une douleur affligeante. Mais pour ajouter à cette terrible épreuve, l'annonce du décès, qui avait eu lieu quelques jours auparavant, fut suivie de plusieurs jours de silence. Personne ne savait ce qui se passait. « Finalement, nous confie Louise, la famille ne nous a contactés que la veille d'une courte exposition de quelques heures : le cercueil était fermé. Il y avait tant de gens que nous avons eu du mal à entrer dans la pièce. Ce fut impossible de nous recueillir près de son corps. Après une brève prise de parole, la tombe fut emportée sans que la mère, ni aucun des frères et sœurs ne soit invité par son mari et ses enfants. On ne savait même pas si elle allait être incinérée ou non. Tout s'est fait rapidement et, par la suite, toute tentative pour savoir ce qui était advenu de la dépouille fut vaine. Ce fut le début d'un long silence intolérable. »

Ce n'est qu'au bout de quatre ans que Louise Paradis a finalement appris que le corps de sa sœur aimée avait été incinéré. « Au moment où je l'ai su, tout était évidemment fini. Mais les cendres n'ont pas été inhumées et même aujourd'hui, après cinq ans, elles ne le sont toujours pas », souligne l'artiste qui vit en Outaouais. Et elle ajoute : « Je ne sais même pas où elles sont. Ma famille a vécu deux ruptures : une rupture avec notre sœur et une rupture avec nos traditions. »

Après le choc initial, une période de peine intense fut l'occasion pour Louise Paradis de réfléchir à l'importance des rituels. Pour que la vie reprenne ses droits, l'artiste est retournée à son crayon et ses collages et a produit une œuvre consacrée aux rituels, Supplique pour l'humanité. Cette œuvre est composée d'une série de 15 poèmes-tableaux qui illustrent par des textes et des collages le cheminement de son deuil. Les éléments isolés des premiers tableaux se rassemblent dans le dernier par un fil doré afin d'illustrer de façon lumineuse un lieu de rassemblement devant la mort. « C'est important de se relier dans la mort : les rituels ont cette capacité de nous relier. » Un message d'espoir face à la mort s'inscrit en filigrane de tous les textes de la série de poèmes-tableaux.

Avec son aimable permission, nous reproduisons dans ces pages le premier texte qu'elle a écrit, Cassure. « En écrivant ce que je ressentais, je me suis mise sur la voie de la guérison. Ce n'est qu'après avoir écrit ce poème que j'ai commencé à me sentir moins oppressée; il m'a permis d'exprimer une émotion et surtout une colère que je ne m'autorisais pas à vivre. Le texte Comme une aube, poème plus serein dans lequel amour et espérance s'intègrent à la mort a quant à lui été écrit à la toute fin de la série. » Dans son œuvre, l'artiste exprime toute la stupeur et la peine que l'on éprouve lors de la disparition subite d'un proche, mais aussi l'espoir qui brille au-delà de la mort. « Souvent, lors d'un tel événement, nous cherchons à fuir au lieu de nous aider mutuellement à assumer la mort et à nous réconcilier avec la vie. Nous nous donnons vite comme excuse le manque de temps et la nécessité de retourner le plus vite possible dans l'engrenage de notre vie. Ainsi, chacun repart avec une blessure longue à cicatriser. Nous nous retrouvons donc encore plus désemparés devant ce vide et ce mystère. Le rejet des rituels traditionnels a laissé un grand vide et il nous faut retrouver collectivement le sens que ceux-ci recelaient pour nous. »

En corollaire de cette absence de rituels, Louise Paradis s'est aussi retrouvée devant le vide d'un lieu où célébrer la mémoire de sa soeur : « Je ne sais pas où sont ses cendres. Je n'ai pas de lieu physique et significatif où me recueillir. Alors, à travers les textes, j'ai dû me créer un lieu de mémoire. J'en avais absolument besoin pour vivre mon deuil. Devant la mort, on a besoin de gestes, de paroles, d'objets pour nous servir de rituels. On a besoin de dire au revoir, de se rassembler pour partager notre peine. Et on a besoin d'un lieu pour honorer la mémoire des êtres chers qui sont décédés. »

À partir de cet événement, Louise Paradis s'est plongée dans les lectures et l'écriture sur les rituels. « Je me suis posé des questions sur les changements de rituels que nous connaissons depuis quelque temps : j'ai constaté un appauvrissement spirituel et social qui m'a interpellée profondément. Il y a une réflexion à faire pour redonner un sens aux événements forts de notre vie : la naissance d'un nouveau membre de notre communauté, l'engagement amoureux de deux êtres et la mort de l'un d'entre nous. »

L'exposition Supplique pour l'humanité a été présentée à la Coopérative funéraire de l'Outaouais en 2004. La Coopérative a d'ailleurs fait l'acquisition de certains des tableaux de l'artiste afin de permettre aux visiteurs de pouvoir en apprécier toute la beauté.

Pour contacter l'artiste :

Louise Paradis
125, rue Mayburry
Gatineau (Québec)
J9A 2B9
[email protected]

Par France Denis
Avril 2005

 

Cassure

Ils t’ont emportée
Comme une étrangère
Sans un mot sans cortège

Et moi l’âme lestée
Je suis restée transie
Le cœur bien menotté
La mémoire balafrée
Éperdue de toi et perdue

Sans un mot sans cortège
Ils t’ont menée je ne sais où

J’aurais voulu
Me pencher sur ta tombe
Mon âme sur ton âme

Écouter sous le chêne
Le silence de toi
Sans montre et sans témoin

C’était la foule la folie
C’était le temps en mal d’espace
C’était le cœur en asphyxie
Et toutes les fleurs en pleurs

J’aurais aimé toucher tes mains
Comme des signes froids
De ta longue migration
Et poser un baiser
Sur tes rêves en partance

Glisser à ton oreille
Des mots de réconfort
Des oraisons ou simplement
Redire ton prénom
Dans un souffle de tendresse

Barrières d’interdit
Autour du lit de bois
Fermé sur ton visage

Lecture intime refusée
Au parchemin de ton beau front
Ni traces de l’absence
Ni présages de paix
Comme une ultime consolation

Et moi l’âme lestée
Je suis restée transie
L’amertume le doute
Coulés au fond du coeur

Ils t’ont emportée
Comme un meuble
Dans une voiture anonyme
Ils t’ont menée je ne sais où

Quand on doit faire place vide
Sans un mot sans cortège
Sans les frères et les sœurs
Sans la mère

Chacun est en exil
En un lieu insensé
Où la source est tarie
La source de nos gestes
La source de nos mots

J’aurais voulu aller aux larmes
Comme on va au bois
Ou à la mer

Cueillir les fruits amers
Du souvenir Madeleine
Aller aux fruits de la mort

Débusquer les petits cris
Bien tapis sous l’écorce
Au bois de la mémoire

Je n’ai rien su
N’ai rien dit
Je n’ai tellement rien su
Que je n’ai pu pleurer

Quand ils t’ont amenée
Sans un mot sans cortège
Bien loin je ne sais où
Comme une pure étrangère
Comme un meuble
Comme un chien

Louise Paradis ©

 

Comme une aube

Jour après jour pour toi je trace
Belle âme voyageuse
Un sentier de lumière au-dessus de la terre

Entre le port d’attache
Où se dénouent tes œuvres vives
Et celui de ta course au bout des galaxies

Jour après jour vers toi je marche
Aux forêts de ta mort
En quête de chaumière

Je suis Petit Poucet
Semant mes mots d’amour
Comme des cailloux blancs aux pistes du silence

Louise Paradis ©

 

18 ans dans une coopérative funéraire à accompagner les familles en deuil