Depuis peu, nous assistons à une pratique qui permet aux personnes endeuillées d'apporter les cendres après les funérailles. Bien que l'Église recommande de les enterrer ou de les placer dans un columbarium afin d'en faire un lieu de recueillement, au Québec, la loi permet aux endeuillés d'en disposer à leur guise, du moment que ce n'est pas contraire aux règlements municipaux.
Dans certains cas, la possession des cendres n'est que temporaire et n'est due qu'au délai entourant l'inhumation. Mais parfois, le geste a un caractère plus permanent et laisse supposer chez l'endeuillé une difficulté à surmonter l'épreuve d'une séparation définitive. Il est vrai que lorsqu'une partie de notre vie s'est écoulée auprès d'une personne aimée, son absence peut s'avérer intolérable. Garder les cendres avec soi permet alors de conserver une impression de proximité avec l'être cher afin d'apprivoiser petit à petit la vie sans lui.
C'est ainsi qu'une mère de famille peut choisir de conserver les cendres de son époux, dans le but d'offrir à ses enfants une présence symbolique de leur père qui, dès lors, revêt un statut de confident et d'ange gardien. Toutefois, à vouloir conserver un lien à tout prix, il arrive parfois que le deuil en soit prolongé. Mais comme me disait une dame âgée qui venait de perdre son mari après cinquante ans de mariage, quand les souvenirs sont tout ce qu'il nous reste dans la vie, pourquoi ne pas poursuivre les quelques pas qui nous séparent de la mort en faisant comme si l'autre était encore là. Pour cette dame, avoir les cendres de son mari à la maison était réconfortant et lui offrait l'opportunité de commenter, aussi souvent que le besoin se faisait sentir, des pans entiers de son histoire d'amour sans importuner son entourage.
Il va sans dire qu'apporter les cendres à la maison prive toute autre personne qui aurait souhaité avoir un lieu pour se recueillir auprès du défunt. Pour cette raison, et dans le but d'élargir quelque peu l'accès au défunt, certains opteront pour le partage des cendres dans des reliquaires (petites urnes). Un cercle restreint de proches est alors invité à conserver une petite partie des cendres avec eux. Cette pratique incite toutefois à une réflexion d'ordre moral : en divisant les cendres en plusieurs parties, le corps ne conserve plus son intégralité. Ce désir de permettre à plusieurs de conserver une partie du disparu peut heurter certaines convictions.
Quoi qu'il en soit, peu importe les raisons qui motivent le choix d'apporter les cendres du défunt avec soi, il est important de bien connaître les répercussions que peut avoir ce geste dans votre vie avant d'emprunter cette voie. Car il n'est pas donné à tous de se sentir à l'aise en présence de cendres. Même les cendres d'un être cher peuvent amener des moments d'angoisse et provoquer des troubles de sommeil chez certains. De plus, surtout dans les premiers mois, le désir de retenir le défunt près de soi peut retarder l'évolution du deuil.
Afin de prendre une décision éclairée que vous n'auriez pas un jour à regretter, voici quelques pistes de réflexion qui peuvent aider à mieux cerner l'impact d'avoir les cendres de l'être cher avec soi :
- Si vous êtes en situation de « garde temporaire » des cendres, il serait souhaitable de trouver un lieu pour les entreposer avec tout le respect qu'il se doit, quitte à le demander à quelqu'un de votre entourage. Se retrouver avec les cendres dans le coffre de la voiture un certain temps ou devoir les entreposer dans la remise engendre souvent des remords à l'égard du défunt.
- Le fait de conserver les cendres peut aussi empêcher l'endeuillé d'assumer la réalité de la perte qu'il vient de subir. En voulant garder la même proximité qu'avant, il maintient une relation qui n'existe plus. Un jour ou l'autre, la réalité le rattrapera et peut-être alors trouvera-t-il plus difficilement le soutien de son entourage, pour qui le deuil sera chose du passé.
- Disperser les cendres prive à jamais les proches et la communauté de se rassembler près du défunt dans un lieu accessible, tels un columbarium ou un cimetière. Bien que les visites au cimetière ou au mausolée soient moins courantes qu'auparavant, cette pratique permet d'honorer nos morts dans un endroit qui leur est réservé. « Garder trace de nos morts nous permet de nous séparer progressivement d'eux. Le souvenir de nos morts est inscrit dans nos cœurs pour toujours, et c'est tout le travail du deuil que de renforcer cette intériorisation. Dans ce processus, les traces du corps de celui qui est décédé attestent la réalité à la fois de l'existence et de la mort de la personne défunte. »1 Toutefois, si tel est votre choix, avant de disperser les cendres du défunt, assurez-vous de vérifier la provenance du vent afin de vous le mettre à dos. Recevoir des cendres en plein visage devient rapidement une expérience traumatisante.
- Prendre la décision d'enterrer les cendres dans un coin de son jardin ou quelque part sur son terrain provoque souvent des regrets quand vient le moment de vendre la maison à un étranger. Du coup, tous les proches parents perdent l'accès à leur lieu de recueillement, sans oublier qu'il sera impossible de contrôler l'usage que feront les nouveaux propriétaires de ce qui était devenu un lieu sacré.
- Il se peut que, pour une raison ou une autre, l'urne tombe et se brise accidentellement. Voir les cendres ainsi étalées sur le plancher et avoir à les ramasser provoque un choc. Il se pourrait alors que l'endeuillé replonge dans la souffrance du deuil et qu'un tourbillon d'émotions refasse surface.
- À la suite du deuil d'un conjoint, certaines personnes placeront l'urne à l'honneur, bien à la vue dans une pièce de la maison. Dans le cas d'une nouvelle union, la présence des cendres pourrait créer un malaise et même provoquer des tensions avec le nouveau conjoint. Avoir à se départir des cendres de l'être cher dans de telles conditions ne se fait pas sans douleur et suscite un fort sentiment de culpabilité.
- Il serait sage de prévoir ce qu'il adviendra des cendres que vous conservez avant votre propre décès, afin qu'elles ne se retrouvent pas dans le fond d'un grenier ou, encore, qu'elles soient simplement jetées par vos héritiers. La même question devrait se poser lorsqu'un enfant demande à garder dans sa chambre une partie des cendres dans un reliquaire (petite urne). Il est important de vérifier avec lui, quand il grandira, s'il a toujours le même désir de les garder en sa possession. Dans le cas où il souhaiterait s'en départir, il serait approprié de choisir ensemble un petit rituel qui permettrait de déplacer le reliquaire qu'il possède vers un autre endroit.
Connaître les répercussions de ses choix permet d’éviter des blessures additionnelles à un moment de sa vie où on s’en passerait. Cela aide aussi à comprendre les raisons qui motivent à aller vers une direction plutôt qu’une autre, ainsi qu’à mieux cerner ses limites et ses besoins.
Votre besoin est de conserver les cendres avec vous? Nous vous conseillons d’associer l’arrivée et l’installation de l’urne à un rituel d’accueil où la famille proche et les amis pourraient être conviés. Entourer l’arrivée des cendres à la maison d’un rituel significatif permet de garder à l’esprit le sens du sacré lié à une telle décision et évite de banaliser l’événement.
Exemples de rituels possibles :
- Allumer une chandelle le jour de l’arrivée des cendres, ainsi qu’à toute autre date associée à la vie du défunt (naissance, mariage, décès, fête des Pères, etc.), est une façon d’honorer sa mémoire et de garder allumée la flamme des souvenirs qui vous ont liés.
- Choisir une musique d’ambiance que le défunt affectionnait et installer l’urne dans un endroit qui lui est réservé. Aménager quelques objets personnels du défunt et des photos le représentant.
- Convier les proches à un repas d’accueil où chacun serait invité à se remémorer de bons moments passés dans cette maison en compagnie du défunt.
- Installer un coffret des mots près de l’urne pour y déposer des messages à l’intention du défunt, ou pour lui demander du soutien quand le deuil se fait trop difficile.
- Disposer un tableau ou un bloc-notes près de l’urne, pour écrire ses états d’âme ou donner des nouvelles, telles « tu me manques » ou encore « je vais mieux ».
- Disposer des fleurs ou une plante verte à côté de l’urne pour illustrer que la vie continue.
Pour certaines personnes, le choix de conserver les cendres de l’être cher correspond à un besoin « vital » : il leur permet de surmonter l’épreuve qu’elles auront à traverser. Il est vrai qu’aménager un espace réservé au défunt amène l’élaboration de plusieurs rituels, parfois même quotidiens. Ces rituels incitent souvent à l’expression des émotions. Ils invitent aussi à prononcer quelques paroles affectueuses à l’égard du défunt, permettent de lui confier ses tourments et stimulent des périodes de recueillement.
Cependant, rappelez-vous qu’il est toujours possible de changer ultérieurement la destination des cendres. Vous n’avez qu’à contacter votre coopérative funéraire : un conseiller vous aidera à choisir la façon d’en disposer qui vous conviendra le mieux.
Par Maryse Dubé
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- MICHEL HANUS, Le Grand livre de la mort à l’usage des vivants, Albin Michel, 2007, p.202.