La plupart des gens reconnaissent qu'il peut être difficile de faire le deuil d'un conjoint ou d'un enfant, et sont désireux d'offrir le soutien nécessaire pour aider à traverser cette épreuve accablante. Une oreille attentive, une épaule chaleureuse, un geste de solidarité, une parole réconfortante : voilà autant de façons d'être présent pour soutenir un endeuillé.
Il en va autrement quand le deuil affecte une personne qui n'avait pas de lien officiel avec le défunt, mais qui entretenait tout de même une relation significative, tels un patron, un voisin, un professeur, un collègue...
Bien que pour ces personnes l'impact du deuil soit de toute autre nature, il n'en tient pas moins que la perte est réelle et qu'elle suscite aussi une variété d'émotions qui peuvent troubler. Toutefois, il y a un certain inconfort à en faire part à autrui. Sachant que leur chagrin risque d'être incompris, ces personnes garderont pour elles leur blessure.
Quand on a de la peine, on a le droit d'être écouté, d'être consolé. Bien souvent, le fait de pouvoir en parler à quelqu'un soulage. Alors si quelqu'un vous fait suffisamment confiance pour se confier, il suffit souvent de bien peu de choses pour l'aider, il suffit simplement d'accueillir le chagrin sans le juger.
Deuil d'un voisin
À la cinquantaine avancée, j’ai déménagé à la campagne pour y prendre ma retraite. Dès les premiers jours, j’ai été charmé par mon nouveau voisin, un homme âgé. Rapidement, je me suis lié d’amitié pour ce vieil homme toujours souriant qui ne ménageait par ses efforts pour apporter un coup de main au citadin que j’étais. C’était un homme habitué à la vie de campagne qui, en plus de sa forme physique impressionnante, avait toujours de judicieux conseils à prodiguer.
Au fil des années, nous nous découvrîmes de nombreuses affinités et le plaisir de sa compagnie alla toujours en grandissant. N’ayant pas de relations harmonieuses avec mon père, cet homme était pour moi l’image du père dont j’avais toujours rêvé. D’ailleurs, sans doute l’avait-il compris, car il avait pris l’habitude de m’appeler fiston.
Lorsque la maladie vint le frapper et que je le vis dépérir graduellement, j’eus l’élan qu’un fils reconnaissant peut avoir envers un père aimant. Malgré les limitations que son état de santé provoqua, je continuais de lui offrir de m’accompagner lorsque j’allais en forêt. Évidemment, cela signifiait marcher plus lentement et le soutenir au besoin, mais l’idée de l’en priver ne m’effleura même pas.
Puis, quand vint le jour où même quelques pas devinrent trop pour lui, je pris l’habitude de le visiter quotidiennement. J’essayais d’égayer sa journée autant que je le pouvais, mais ça me brisait le cœur de constater que ses dernières joies l’avaient quitté.
La dernière semaine avant qu’il ne meure fut très pénible pour moi. Ayant demandé à mourir chez lui, sa famille se relayait pour être à son chevet. N’étant qu’un simple voisin, il n’était pas question que j’aille m’imposer. Néanmoins, deux ou trois jours avant sa mort, il s’est étonné de ne pas me voir à ses côtés. Sa fille aînée vint donc me proposer d’aller le saluer une dernière fois. Hélas, j’en fus incapable, car j’aurais pleuré devant sa famille comme peut pleurer un fils, et personne n’aurait compris… à part lui peut-être. Alors, je suis resté chez moi.
À son décès, je suis allé au salon en coup de vent. Je voulais simplement, sans que rien n’y paraisse, le remercier pour tout ce qu’il m’avait apporté.
Aujourd’hui, sa maison est vendue, j’ai de nouveaux voisins que je ne connais pas et qui me laissent froid. Mais chaque fois que je travaille sur mon terrain, j’ai une pensée pour lui. Je sais bien que de là où il est, mes pensées ne doivent pas peser beaucoup dans la balance. Sa femme et ses enfants doivent passer bien avant moi. Cependant, je n’ai rien d’autre à lui offrir, et ça m’aide à ne pas l’oublier.
Un simple voisin
Texte : Maryse Dubé
Image : Pixabay