Pendant 18 ans, j'ai travaillé comme directeur général à la Coopérative funéraire Brunet de Mont-Laurier et Maniwaki, une petite coopérative où les permanents exécutent à peu près toutes les tâches selon le besoin. Lors de mon embauche, je ne devais pas m'occuper du volet funéraire mais uniquement de gérer, diriger, planifier, etc. La belle affaire quoi! Un bon matin, j'ai eu à assumer le rôle de rencontrer les familles pour établir des arrangements funéraires, puis il a fallu que j'assume une partie de la direction des funérailles en plus de donner un coup de main au thanatologue pour installer les corps dans les cercueils.
C'est par le contact avec les familles que j'ai découvert mon goût pour le service à la clientèle et le mouvement naturel en moi d'accompagner les personnes dans ce qu'elles vivent. Pour chaque famille que je rencontrais, mon défi était de saisir leur besoin réel en cherchant comment y répondre au mieux. Pour moi, cela allait de soi car une coopérative trouve sa raison d'être dans la réponse aux besoins de ses membres et clients, même si, parfois, c'est plutôt compliqué. Je me rappelle une rencontre de famille où sept enfants étaient venus établir des arrangements pour leur père décédé ; ils hésitaient, semblaient inquiets ; après un temps de lents progrès, j'ai entendu l'un d'eux se demander si sa sœur Unetelle serait d'accord avec l'option envisagée ; mais voilà, Unetelle n'était pas là. Il ne manquait qu'elle et il fallait que les arrangements lui conviennent aussi à elle. Car travailler dans le secteur funéraire, c'est travailler avec des vivants. Au moment du service funèbre, à la sortie de l'église, un bris électronique a immobilisé pendant plusieurs minutes le corbillard contenant le corps du père. Catastrophe en face de la cathédrale avec 150 personnes qui attendent que le cortège se mette en marche! Lorsque j'ai reçu la famille, le lendemain, je pensais bien en entendre parler. Mais loin de les avoir énervés, cet incident les avait amusés en leur rappelant que leur père, qui n'était pas fortuné, disait souvent : « Les Cadillac, ce n'est pas pour moi ». Le hasard s'était chargé de personnaliser ces funérailles, et les enfants avaient gardé un souvenir heureux de ce moment.
Évidemment, accompagner des personnes dans leur entrée dans le deuil est une tâche délicate. Perdre un être cher est toujours un choc, un bouleversement, même quand on avait déjà commencé son deuil depuis des mois. Pour ma part, je crois que le déroulement des funérailles, les rites, les gestes posés sont autant d'occasions d'avancer, de poursuivre la relation avec le défunt, peut-être de vivre des moments qu'on n'avait pas vécus avec celui ou celle qui est parti. À chaque personne de choisir ce qui l'aidera le mieux à vivre ces moments.
Deux petits cœurs en chocolat
Un enfant m'avait démontré mieux qui quiconque qu'il appartient à chacun de trouver les gestes les plus signifiants. Un soir de St-Valentin, au salon, un petit bonhomme d'environ 4 ans venait à répétition dans le bureau chercher deux petits cœurs en chocolat ; il en mangeait un et portait l'autre à son grand-père étendu dans le cercueil pour le temps de l'exposition. N'est-ce pas son lien à son grand-père qu'il continuait ainsi et laissait se transformer peu à peu, à chaque voyage de chocolat qu'il faisait, car il saisissait sans doute que le retour de grand-père était différent de ce qu'il aurait été de son vivant!
Souvent, on m'a demandé si je trouvais difficile de travailler en contact avec la peine des autres. En général, il m'était donné de ne pas coller à cette peine. Spontanément, mon réflexe était plutôt de chercher comment la Coopérative pouvait le mieux accompagner la famille dans les gestes d'adieu qui permettront de saluer la mémoire de l'être cher. Un jour, j'ai demandé à un père dévasté s'il souhaitait fermer lui-même le cercueil de son gars de 20 ans mort dans un accident. Deux mois après, il m'a avoué que c'est le seul souvenir qu'il lui restait dans l'engourdissement causé par les médicaments qu'on lui avait donnés. Malgré sa grande douleur, il était heureux d'avoir posé ce geste.
Mon expérience dans ce domaine et dans le contact avec les gens m'a beaucoup appris et j'ai vraiment aimé ce travail. En plus du service au client, j'ai apprécié côtoyer les membres, les administrateurs et le personnel de la coopérative. Évidemment, travailler dans le secteur funéraire nous met en contact avec la mort, mais ce que je retiens surtout, c'est que la mort nous amène à travailler avec les besoins de ceux qui restent.
Par Denis Soucy
Avril 2007