Lac-Mégantic - Des salons funéraires pris au piège

Emprisonnés dans la « zone rouge », les deux centres funéraires de Lac-Mégantic doivent « multiplier les prouesses » afin de rendre les derniers honneurs aux défunts de la communauté dans la quiétude.

« On ne veut pas que les familles soient déçues. On veut tellement que ça soit parfait », lance la directrice générale du Centre funéraire coopératif du Granit, Manon Grenier. « On s'en met beaucoup sur les épaules. » En plus d'être accablée d'une lourde charge de travail, la chef d'entreprise doit composer avec la tristesse qui l'habite. « Même si on est habitués là-dedans, la peine, on la vit pareil », souligne-t-elle. À son retour à la maison après une journée de travail bien remplie, Mme Grenier est appelée à consoler sa belle-fille. Celle-ci a perdu sa soeur dans la nuit du samedi 6 juillet. « Je vis le deuil à la maison aussi », souligne-t-elle, à l'occasion d'une entrevue dans le sous-sol d'un cabinet de notaires où elle a trouvé refuge, au lendemain de la catastrophe ferroviaire.

« Parfois, les gens ne sont pas conscients de l'ampleur de ce qui se passe à Lac-Mégantic. Ils voient cela à la télévision, mais ils ne le vivent pas. » — Manon Grenier

Zone rouge

D'ailleurs, la dg du Centre funéraire coopératif du Granit croise les doigts afin que l'avis d'évacuation de la « zone rouge » soit levé prochainement.

Depuis trois semaines, Mme Grenier planifie des cérémonies funèbres dans différentes salles de la région, dont celle du club de l'âge d'or. « On se dépanne, mais ce n'est pas comme un vrai salon funéraire. Les familles touchées par la tragédie sont conscientes qu'elles sont une quarantaine de familles en même temps. Elles sont très conciliantes. C'est plus difficile quand on arrive avec un décès à côté, qui ne fait pas partie de la tragédie. Parfois, les gens ne sont pas conscients de l'ampleur de ce qui se passe à Lac-Mégantic. Ils voient cela à la télévision, mais ils ne le vivent pas. On essaie de créer quand même une ambiance pour que les funérailles soient dignes, respectueuses et qu'elles soient propices à favoriser leur processus de deuil », insiste Mme Grenier.

La réouverture du centre-ville - ou ce qu'il en reste - « aidera grandement » l'équipe du Centre funéraire coopératif du Granit, qui pourra prendre possession de ses installations épargnées par les flammes.

Son collègue ne peut toutefois pas en dire autant. Le propriétaire du Centre funéraire Jacques et fils, François Jacques, disposait de quatre bâtiments dans le centre-ville. L'un d'entre eux est complètement détruit. Il abritait notamment le columbarium, la salle de réception ainsi que les bureaux administratifs des huit salons mortuaires dans la famille de « Jacques et fils ». Hélas, environ 200 urnes ont été dispersées en tous sens par la série d'explosions qui ont détruit le coeur de la municipalité et arraché la vie à 47 personnes début juillet. « Au-delà de tout ça, notre plus grand drame, chez nous présentement, c'est ces urnes-là, les gens qu'on n'a pas et qu'on essaie de trouver. La Sûreté du Québec nous en a remis un certain nombre, mais ça va prendre une fouille plus approfondie », explique M. Jacques.

Le columbarium du Centre funéraire coopératif du Granit est, lui, intact. Au lendemain de la catastrophe, la principale préoccupation hantant les esprits de Mme Grenier consistait à récupérer les dépouilles de quatre personnes coincées à l'intérieur du salon funéraire. Cela a été fait.

Treize familles sans nouvelles

Le Centre funéraire coopératif du Granit et le Centre funéraire Jacques et fils - qui offrent des services aux familles de 180 à 200 personnes décédées habituellement par année dans la région de Lac-Mégantic - devront aussi coordonner les funérailles de la plupart des victimes du train de la Montreal, Maine and Atlantic Railway (MMA).

Les deux centres offriront des funérailles « sans frais » aux familles des 47 personnes qui ont péri dans la catastrophe. Mais si 42 des 47 victimes ont été extirpées des décombres, seules 34 ont été identifiées à ce jour. Treize familles sont ainsi sans nouvelles de leur proche, redoutant pour la plupart que celui-ci fasse partie des cinq restées introuvables. La question « Est-ce qu'il était vraiment là ? » taraude les esprits des familles de ces 13 personnes disparues, fait valoir M. Jacques.

Le Bureau du coroner dit avoir bon espoir « d'obtenir d'autres identifications au cours des prochains jours ». « Par contre, on arrive à un stade où il est possible que le rythme des identifications ralentisse », indique la porte-parole de l'organisme, Geneviève Guilbault. Elle pointe « la complexité croissante des analyses et des expertises » menées par les spécialistes du laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale pour repérer des correspondances génétiques qui permettent au coroner d'établir formellement une identité.

Plusieurs familles ont été « sensibilisées » aux différents scénarios se profilant devant eux, dont celui où leur proche ne sera jamais retrouvé, fait savoir l'inspecteur de la Sûreté du Québec Michel Forget.

Texte : Marco Bélair-Cirino
Photo : Jacques Nadeau
Publié dans Le Devoir

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