À vous qui vivez des épreuves comme moi....

Bonjour à vous qui vivez des épreuves comme moi.     C'est arrivé le 23 septembre dernier vers le 19h30 au Michigan. Mon conjoint était chauffeur de « van » comme on dit ici au Québec. Nous étions en route pour Dallas, Texas. Nous sommes arrêtés aux douanes comme à l'habitude et, comme à l'habitude, le douanier nous a dit d'aller voir le « brooker ». Il pleuvait et ce n'était pas chaud. En revenant avec ses papiers, Gilles me dit qu'il ne filait pas depuis un petit bout de temps mais aujourd'hui plus qu'à l'habitude. Je lui demande ce qu'il a, où a-t-il mal ? Et il me dit qu'il a mal à la tête et au cœur en me disant qu'il n'avait sans doute pas digéré ses sandwichs de l'après-midi.

C'était un homme que je n'avais jamais entendu se plaindre. Pour moi, il était invincible. Alors je lui demande s'il veut des Tylenols et il me dit que oui. Je lui propose de s'étendre et de dormir quelques heures, que de toute façon nous ne pouvions pas nous rendre à Dallas pour le lundi matin 8h00. Il ne veut rien entendre car il dit que ça va passer. Il me dit de regarder dans le livre de « truck-stop » pour trouver un endroit où aller prendre un café et que ça va passer.

De mon côté, la peur s'empare de moi, je me dit que ce n'est pas prudent de conduire quand on a mal au cœur comme ça. Sa fenêtre est grande ouverte et il est pâle. Il y a un « truck-stop » dans 12 milles mais j'ai peur et je tourne mon banc de côté pour ne pas le perdre de vue. Je lui refais la demande de se ranger sur le côté de la route car l'accotement est large et il pourrait se reposer. Mais il me dit, et va même jusqu'à me jurer sur notre amour que s'il se sent mal il va s'arrêter.

Je vois venir la sortie pour le « truck-stop », je le quitte des yeux un instant pour regarder dans mon miroir afin de m'assurer que personne ne vient nous dépasser par la droite et, en me retournant, je le vois : il est toujours au volant mais la tête penchée et il ronfle. Moment de stupeur passé, je me dis qu'il ne peut pas dormir. Je me lève debout et me mets à le secouer tout en tenant le volant et en me sortant la tête par sa fenêtre ouverte pour appeler à l'aide.

Je ne sais pas à quoi je pense, tout va si vite, je ne sais pas comment stopper le camion. J'essaie de manœuvrer tant bien que mal pour prendre la sortie et diriger la « van » vers le côté de la route. Je suis incapable d'atteindre le frein étant donné que Gilles est au volant. Je pense qu'au bout de cette route il y a sûrement un stop et des maisons et des gens. Tout à coup le bouton rouge me saute aux yeux. Ce bouton est en fait les freins à l'air. Je tire dessus et tout a stoppé. Je continue à secouer Gilles durant tout ce temps.

Ne me demandez pas comment je suis sortie, je ne m'en souviens plus du tout. J'ai dû sauter directement en bas du camion, je ne me souviens même pas d'avoir ouvert la porte. Tout ce que je me souviens, c'est que j'étais à genoux à côté de la « van », mes lunettes sur un bord, mon bandeau pour les cheveux de l'autre. Je me suis levée et je suis retombée tout de suite. Je me souviens d'une grande douleur dans le genou mais c'était pas important. J'ai fait ce jeu trois fois à ma connaissance et là je me suis dit que je serais mieux de marcher à quatre-pattes pour atteindre le bord de la route pour appeler à l'aide. Dans mon souvenir, il me semblait que personne ne me voyait. Je criais HELP à tue-tête et je ne voyais personne qui s'arrêtait.

Tout à coup j'ai aperçu un autobus et le chauffeur venant vers moi en courant, et moi qui criais : « Please help me... my husband heart attack. » Je ne réalisais même pas ce que je disais. Ce que je me souviens c'est que je me suis retrouvée accotée sur la van dans les bras d'une femme qui me chuchotait à l'oreille en anglais de prier Dieu. Il y avait beaucoup de monde, des policiers, des pompiers et des ambulances et pas moyen de savoir ce qui se passait. J'étais en état de choc et c'était comme si une partie de moi ne comprenait pas ce qui se passait. On s'est occupé de moi après que Gilles fut dans l'ambulance. Je voulais aller avec lui mais on m'a dit que je ne pouvais pas. On m'a amenée dans une autre ambulance et découpé mes jeans. J'étais comme une automate. Je pensais que j'allais rejoindre Gilles et que tout irait bien maintenant.

À mon arrivée à l'hôpital, il était dans une salle et je n'ai pu le voir. On m'a dit qu'on l'amenait dans un autre hôpital et que je le verrais plus tard. On m'a pris des rayons X, on m'a mis une attelle à la jambe, on m'a donné des béquilles et une infirmière m'a donné du Tylenol en cachette. Le chauffeur d'autobus est demeuré avec moi et c'est lui qui m'a menée à l'autre hôpital. Je suis arrivée là et j'ai pu enfin voir Gilles.

Il était aux soins intensifs. Il était intubé de partout. Il était dans un coma profond et sous respirateur. On m'a laissée le toucher et je pouvais rester auprès de lui. J'étais dans une chaise roulante mais j'arrivais quand même à me hisser près de lui. J'avais mal pour lui, mal pour moi, j'étais complètement abasourdie et, croyez-moi, jamais je n'ai rien eu pour me calmer le choc ou la douleur sauf les deux Tylénols de tout à l'heure. J'étais morte d'inquiétude mais, en même temps, je pensais que j'exagérais les choses, que Gilles se réveillerait et que tout entrerait dans l'ordre.

Vers minuit, l'infirmière est venue me dire qu'il me fallait m'en aller. Je lui ai répondu que je ne savais pas où aller et je lui ai demandé de rester passer la nuit dans la petite salle attenante aux soins intensifs où il y avait des fauteuils. Rien à faire, elle voulait que je parte. On avait saisi le « truck » ; mes vêtements et mes choses personnelles s'y trouvaient tous. J'étais habillée en bleu comme les médecins. Je lui dit que je ne pouvais pas m'en aller comme ça mais elle ne voulait rien savoir et le motel le plus proche était à 40 milles de l'hôpital. J'avais appelé ma compagnie d'assurances mais la fille qui était en service ce soir-là n'a apparemment jamais compris mon cas car elle m'a dit qu'elle n'avait pas affaire à moi avant le vendredi suivant, date de notre supposé retour.

Heureusement que j'ai eu deux anges-gardiens ces jours-là, soit Tom le chauffeur d'autobus et Peggys une ex-infirmière qui était arrêtée sur les lieux de l'accident et qui avait aidé Tom dans les premiers soins. Tom m'a amenée dans un motel à deux rues de chez-lui et il m'a dit qu'il reviendrait me chercher le lendemain matin pour me ramener à l'hôpital auprès de Gilles. Il avait communiqué avec Peggys pour qu'elle passe la journée du dimanche avec moi auprès de Gilles.

Gilles ne sortait toujours pas de son coma et, dans l'après-midi, un neurologue est venu me parler de la gravité de son état et m'a dit que les prochaines 24 heures seraient décisives, mais qu'il n'avait pas grand espoir étant donné qu'il avait manqué d'oxygène au cerveau durant au moins 20 minutes.

Entre temps la compagnie d'assurance m'avait rejointe et me rapatriait au Québec la journée même. Je ne voulais pas partir mais encore une fois je n'avais pas le choix. Une infirmière est venue lui couper une mèche de cheveux, l'a mise dans un petit sac et me l'a donnée. Qu'est-ce que vous croyez que l'on pense à ce moment ? J'étais certaine que je ne le reverrais plus jamais. Je voulais mourir. Tom et Peggys, ainsi que leurs conjoints, sont venus me conduire à l'aéroport pour me ramener au Québec.

Le lundi matin je reçois un appel chez moi de l'assurance me disant que mon conjoint serait rapatrié le soir même. L'espoir m'a repris. À son arrivée ici au Québec, Gilles n'avait toujours pas repris connaissance. Il est resté branché durant une autre semaine et ensuite sa fille a signé pour son débranchement. Il a survécu cinq jours après, mais dans des conditions horribles.  Il s'en est allé le 8 octobre vers les 18h20. Il était dans mes bras et j'étais accompagnée d'un prêtre.

Sa mort a probablement été pour lui une délivrance mais pour moi le vide est immense. J'ai pour seule consolation qu'il est mort comme il l'avait souhaité. Il disait toujours qu'il voulait mourir dans mes bras. Il est mort cliniquement le 23 septembre auprès de moi dans le « truck » et il est parti rejoindre Dieu le 8 octobre dans mes bras.

Moi, mes bras sont vides, mon cœur est vide et je n'arrive pas à croire que tout est fini. Je me surprends à l'attendre quand je vais au magasin... Pour moi aussi la période des Fêtes qui approche est très difficile à envisager. Tout est difficile. Tout est en attente... Attente de quoi ? Je ne le sais pas...

Fran
Sainte-Foy (Québec)

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