Veiller au chevet d'une personne malade ou mourante est en soi une épreuve extrêmement exigeante pour la famille et les proches. Quand on ajoute à cela tous les détails matériels, la difficulté de communiquer avec le personnel médical et les longues heures passées à coordonner le tout avec les autres membres de la famille, la tâche apparaît parfois surhumaine. Que d'énergie déployée à se relayer de l'information cruciale alors qu'on souhaiterait être simplement disponible pour accompagner la personne malade vers la guérison ou vers son dernier souffle.
C'est de cette épreuve qu'est venue l'idée du Journal de chevet pour le cheminement des malades développé par quatre sœurs de la région de l'Outaouais, Gloria, Murielle, Carmen et Chantal Fex.
Souffrant d'un cancer, la mère des sœurs Fex était soignée au Centre Élizabeth Bruyère d'Ottawa où elle a vécu les six derniers mois de sa vie. Un soir, en revenant d'une visite à sa mère, Gloria Fex entreprit, comme elle le faisait régulièrement, de contacter ses trois sœurs et ses deux frères pour les informer de l'état de santé de leur mère et s'entendre sur certaines responsabilités.
Ce soir-là, le premier appel avait duré près d'une heure. En raccrochant, madame Fex se rend compte qu'elle a oublié l'objet de son appel et qu'elle doit rappeler son frère pour lui donner l'information. Et ce n'était que le premier appel! « Avec le poids de la fatigue et l'émotion accumulée, la tâche me semblait tout à coup insurmontable. En plus de vivre la douleur de perdre notre mère, nous étions tous épuisés. »
Quiconque a déjà vécu l'accompagnement d'un proche mourant ou malade pourra sans doute comprendre la lourdeur de cette responsabilité et la difficulté de maintenir une bonne communication. « En plus de se relayer à son chevet, nous passions des heures au téléphone pour nous donner des nouvelles, nous entendre sur les achats à faire pour notre mère, déterminer ensemble qui devait parler au spécialiste, nous partager les responsabilités, explique Gloria Fex. Avec notre travail et nos occupations familiales, le temps passé à simplement se relayer de l'information devenait de plus en plus lourd ».
De là est née l'idée d'un simple petit cahier déposé sur la table de chevet où chacun pouvait y consigner une foule de renseignements. L'idée est simple, elle n'est ni révolutionnaire, ni nouvelle, mais pour les membres de la famille Fex, ce petit cahier a transformé leur vie.
« Au tout début, ce n'était qu'un petit calepin où les membres de la famille et les visiteurs écrivaient des messages, des poèmes, des anecdotes... Peu à peu, la communication s'est améliorée », affirme Gloria Fex.
Désormais, la famille Fex ne passe plus d'interminables heures au téléphone à se transmettre les dernières nouvelles sur l'état de leur mère. « Comme ma mère était paralysée, nous nous organisions pour qu'elle soit rarement seule. Ce journal nous gardait mutuellement au courant des événements de la journée et des moments intimes que nous vivions. Il nous permettait de noter les achats d'effets personnels requis pour notre mère ainsi que celui d'entre nous mandaté pour les effectuer. Nous avions aussi inscrit le poste de radio préféré de notre mère, ses disques préférés, ses émissions de télé préférées. C'était un système facile, efficace et notre mère de manquait jamais de rien. »
Petit à petit, d'autres personnes ajoutent leur grain de sel. « Ma mère avait 11 sœurs qui venaient la voir. Un beau jour, nous avons retrouvé dans le journal un message d'une de nos tantes qui nous disait que notre grand-père appelait notre mère Mon petit pitou de cinq cennes quand elle était petite. Ce n'est pas grand-chose, mais cela nous a tous fait sourire. Ce journal nous a tellement remonté le moral quand nous vivions des moments de découragement. »
Le personnel médical s'intéresse aussi à l'idée. « Une autre fois, l'ergothérapeute devait nous donner des précisions sur le fauteuil roulant de notre mère. Comme il est passé à un moment où aucun membre de la famille n'était présent, il a rédigé une page complète d'indications précises pour la famille. Ça nous a sauvé cinq appels et ça lui a probablement sauvé beaucoup de questions ».
Une expérience à partager
Un an après le décès de leur mère, les quatre sœurs Fex ont décidé de partager cette expérience avec les intervenants du milieu de la santé et les personnes vivant une période difficile ou tragique. Voyant à quel point ce petit livret avait modifié leur vie, elles ont créé Le Journal de chevet pour le cheminement des malades.
Ce cahier d'écriture, laissé sur la table de chevet, permet à la famille de se tenir mutuellement au courant des événements et moments intimes vécus. En plus des deux cents pages disponibles pour la libre écriture, quatre autres sections s'ajoutent dont l'identification de la personne malade, une liste de lectures suggérées pour aider cette personne et sa famille à cheminer, des poèmes et l'historique du journal.
Ce journal peut être utilisé de maintes façons. Par exemple, la personne soignée peut rédiger elle-même son journal et le garder confidentiel. Une correspondance peut aussi s'établir entre la personne, la parenté et les bénévoles qui pourraient lui témoigner de l'amitié en rédigeant des pensées positives.
Cet outil peut servir une famille dont un des leurs souffre d'un handicap, est en convalescence à la maison, dans un hôpital, un centre d'accueil ou en centre d'hébergement.
Les familles qui reçoivent ce journal sont souvent très émues et plusieurs malades demandent à leurs visiteurs d'y laisser une note; des enfants font des dessins pour leur être cher. « Une dame qui l'avait reçu a choisi cet outil pour écrire une lettre à chacun de ses enfants et petits-enfants avant de partir. Quel bel héritage pour la famille ! »
Peu importe la forme que peut prendre un journal de chevet, il constitue un instrument de communication par excellence pour la dernière phase de la vie des personnes soignées. C'est non seulement un outil efficace pour se préparer à un deuil et vivre ce deuil par la suite, mais il constitue aussi un souvenir de famille précieux.
« Une dame a acheté le Journal de chevet et l'a donné à son frère atteint du cancer. Il a demandé à tous les visiteurs qui passaient d'écrire un message ou de faire un dessin. Au départ des visiteurs, il pouvait lire les messages d'amour laissés par sa famille et ses amis. Certains écrivaient des choses qu'ils n'auraient jamais osé dire. C'était le plus beau cadeau qu'on pouvait lui faire. »
Dans certains cas, ce sont les bénévoles ou le personnel qui laissent des messages. « Dans les unités de soins palliatifs, certains malades n'ont presque jamais de visiteurs. Comme ils dorment beaucoup, il leur arrive de manquer la visite d'un proche ou d'un bénévole. Les petits messages laissés dans leur cahier par les bénévoles, les membres de la famille ou parfois les préposés aux bénéficiaires apportent un véritable baume dans leur épreuve. »
Le Journal s'adresse davantage aux familles mais, selon Gloria Fex, elle-même infirmière, il n'est pas rare que le personnel infirmier et les médecins décident de s'impliquer dans la démarche. « Selon une enquête réalisée par le CHLSD auprès des familles d'un proche hospitalisé, le plus gros problème qu'elles vivent est le manque de communication entre la famille et le personnel. Dans notre cas, les visiteurs qui venaient le soir n'avaient pas la chance de rencontrer les médecins, les spécialistes, les techniciens et le personnel du jour pour connaître les changements et l'évolution de notre mère. Avec ce cahier de notes devenu journal de chevet, nous pouvions inscrire des remarques concernant l'état de notre mère et nous pouvions également laisser des notes au personnel de la santé qui changeait d'une journée à l'autre. » Le milieu hospitalier a d'ailleurs très bien reçu l'arrivée de ce produit. Le Centre hospitalier de soins de longue durée (CHSLD) de Gatineau a même choisi d'en faire un cadeau d'accueil pour tous ses nouveaux patients. « Quand nous présentons notre produit, certains intervenants du milieu de la santé nous disent enfin! Il était temps que quelqu'un y pense! Quand le personnel médical a à répéter la même information aux huit membres d'une famille, c'est épuisant également pour eux. Ils n'ont pas le temps de jouer ce rôle. Avec ce journal, la première personne qui reçoit l'information l'écrit dans le journal pour le bénéfice des autres. »
Pour la famille Fex, ce journal s'est avéré bien plus qu'un simple outil de communication. « Des visiteurs de ma mère ont profité de ce journal pour y inscrire des mots d'affection et des pensées positives. Pour nous, ce journal de chevet est maintenant un souvenir précieux de la dernière phase de vie de notre mère et de tous ceux qui l'ont accompagnée tout au long du voyage. J'ai relu ce journal récemment et j'ai ressenti un grand réconfort de revivre les derniers moments de sa vie. Le journal de notre mère est un souvenir très précieux pour notre famille, affirme Gloria Fex. »
Par France Denis
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Cet outil de communication est disponible auprès de Signature QuatroFex au (819) 827-0646. Madame Gloria Fex donne également des conférences sur l'utilisation d'un journal d'accompagnement dans l'approche des personnes soignées.