Pour mieux vivre un deuil : Trouver des gestes qui ont un sens

Deux ans après le décès de sa femme, Sylvain est retourné à la petite auberge où le couple avait passé son voyage de noces 23 ans auparavant. Il avait apporté avec lui le foulard de soie qu'il avait acheté à Josée pendant ce voyage et qu'elle avait toujours conservé comme un trésor. Sur le lac près de l'auberge, Sylvain relâcha le foulard au vent après y avoir inscrit Jamais je ne t'oublierai. C'était sa façon à lui de marquer la fin d'un deuil et la transition vers autre chose.

Les enfants d'Évelyne de leur côté ont profité du deuxième Noël sans leur mère pour se rappeler à quel point elle leur avait laissé un bel héritage d'amour. Après avoir passé le premier Noël dans la tristesse et la mélancolie, les enfants et petits-enfants décidèrent de faire une grande fête et de garnir l'arbre d'objets qu'Évelyne avait tricotés et de décorations qu'elle avait faites de ses mains. Chacun ajouta à l'arbre une petite mitaine, un petit personnage en papier mâché, une petite pantoufle, des bas, des petites tuques à pompon ou un sachet de pot-pourri en coeur. Plutôt que d'oublier et de chercher à tout prix à penser à autre chose, ils ont choisi de se remémorer l'amour qu'elle transmettait à sa famille avec ses travaux manuels et ses gâteries.

Posés seuls ou en groupe, ces gestes constituent des rituels qui permettent aux endeuillés de surmonter des souffrances et d'avancer dans le travail de deuil. Car peu d'événements affectent la vie aussi fort que la disparition d'un être cher. La sagesse populaire conseille évidemment aux survivants de « rester occupés, de ne pas s'installer dans le deuil, de ne pas se laisser aller ». Mais la sagesse populaire ne dit pas tout. Des étapes sont nécessaires pour s'en sortir. La guérison arrive un jour et entraîne une ouverture vers la vie. Un temps pour le deuil offre cette promesse et montre le chemin. L'endeuillé doit prendre son temps pour vivre son deuil et jalonner son parcours de gestes significatifs.

« Un rituel est un geste concret qu'on pose et qui va traduire une signification symbolique qu'on va lui donner », soutient Louise Aubé, psychologue de la région du Bas-St-Laurent et personne-ressource pour des conférences et ateliers sur le deuil, les soins palliatifs et l'accompagnement des mourants. « Auparavant, les rituels étaient plus collectifs. La religion est moins présente aujourd'hui, mais ça ne veut pas dire que nous ne sommes pas des êtres spirituels. La dimension spirituelle doit donc avoir sa place quand on vit un deuil, mais comme nous sommes des êtres incarnés, on a besoin de poser des gestes concrets et tangibles pour donner un sens à un rituel. »

Donner du temps à sa peine... pour en guérir

« Quand la mort est annoncée, les rituels peuvent commencer avant la mort, affirme Louise Aubé. Tout ce qu'on n'a pas eu le temps de faire avant, ça prend deux fois plus de temps à faire après : prendre le temps de dire Je t'aime, toucher, se coller, faire une accolade, mettre de la crème sur les mains d'une grand-maman, passer du temps avec nos proches, aller ensemble à un endroit qu'on s'était promis de visiter. Bref, faire tous ces petits gestes dans lesquels l'amour va passer ».

Après la mort, les rituels ont aussi la fonction de faire reconnaître notre souffrance. Non seulement on a mal, mais on veut que les gens le sachent et qu'ils le reconnaissent, selon Louise Aubé. « Que fait une mère à son enfant qui pleure parce qu'il a mal ? Elle va embrasser le bobo. Nous devons apprendre à embrasser la souffrance, la reconnaître pour panser cette blessure. Dans les rituels plus collectifs, l'entourage signifie : Je te reconnais ta souffrance, je l'accueille, j'ai envie d'apporter le réconfort. Les funérailles ont notamment cette fonction. »

Les premiers rituels à vivre sont donc les rituels funéraires : l'exposition, la cérémonie funéraire, la procession funéraire, la disposition du corps (enterrement ou crémation), puis les cérémonies commémoratives, la visite au cimetière ou au columbarium. « Mais il faut que ces rituels aient un sens, insiste Louise Aubé. Si ça a un sens de mettre une rose dans le cercueil avant la fermeture, faisons-le. C'est important de prendre le temps de préparer des funérailles significatives. L'exposition et la visite au corps notamment est un rituel qui a un sens : ça permet de revoir la personne une dernière fois, de prendre conscience du changement d'état, d'échanger avec les proches; c'est une occasion de vivre l'émotion et de la partager. »

Des gestes pour apprivoiser l'absence

Tout cela aide les proches par la suite à entamer le travail de deuil et à traverser les épreuves. « La première année, c'est la plus difficile, souligne la psychologue. Tout est cela sans l'autre, c'est l'omniprésence de l'absence. Ce n'est pas seulement la personne qui n'est plus là, c'est tout ce qu'on faisait ensemble : aller aux pommes, faire des confitures, faire le jardin, voyager. »

Une fois seuls, les endeuillés pourront vivre leur perte et trouver des éléments qui les aident à mieux apprivoiser l'absence. « Si une fille qui a perdu son chum a besoin de porter le vieux chandail qu'il portait toujours, qu'elle le fasse. C'est la même chose pour les photos : si vous sentez que vous en avez besoin, gardez-les. Si ça vous met à l'envers, enlevez-les. »

Le travail de deuil, c'est aussi exprimer sa peine, la traduire par des gestes et des mots. « Certains sentiront le besoin d'écrire un journal ou d'écrire une lettre au disparu, de chanter une chanson, d'écrire des poèmes. D'autres vont trouver un apaisement dans la prière, la méditation, la musique, l'encens. On peut avoir envie de confectionner un scrapbook ou un album à la mémoire du défunt et d'en faire partager toute la famille. On peut aussi se regrouper pour se rappeler ce que le défunt nous a légué et pour tirer des leçons de notre relation : ce sont des héritages qui transcendent la mort. Certains trouveront un réconfort en plantant un arbre ou des fleurs en mémoire du défunt ou en allant marcher dans la nature. D'autres souhaiteront créer un site Internet en sa mémoire. Chacun de ces gestes est un rituel qui peut avoir une fonction thérapeutique. »

Les enfants peuvent aussi avoir besoin de participer à un rituel, à leur mesure. On peut leur suggérer de faire un dessin et de le laisser dans le cercueil, de donner un toutou, de toucher le défunt. L'important est de ne jamais forcer l'enfant.

Puis un jour, vient le temps d'enlever sa robe noire. La souffrance est moins vive, on peut penser au défunt sans que ça ne fasse mal. « Certaines personnes souhaiteront marquer cette transition par des gestes concrets, affirme Louise Aubé : faire un voyage, se faire couper les cheveux, déménager, ranger les photos dans un album, donner les articles du défunt, faire une envolée de colombes. » Le mot d'ordre : l'authenticité. On le fait parce qu'on est prêt à le faire. Pour nous libérer de la souffrance, le rituel doit être ressenti et authentique.

Guérir de son deuil, c'est accepter d'y plonger. C'est à un véritable travail émotif, long et difficile, que l'endeuillé doit se soumettre s'il veut arriver à surmonter sa souffrance. Ce travail ne conduit pas à l'oubli, mais à intérioriser le disparu dans sa pensée, où son souvenir cesse d'être douloureux. C'est à ce prix que l'endeuillé peut retrouver une qualité de vie satisfaisante et renaître à la vie.

Par France Denis

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