Il faut un certain courage pour être pleinement soi-même dans la vie de tous les jours, surtout quand on est sous les projecteurs. Rester authentique et vraie peut s’avérer un réel défi quand les attentes sociales relèvent du qu’en-dira-t-on. Marthe Laverdière, pourtant, assume pleinement ce qu’elle est à tous les niveaux.
Cette touche-à-tout qui est horticultrice, chroniqueuse, autrice de 7 livres, conférencière, humoriste et youtubeuse amasse les succès partout où elle passe et sur toutes les plateformes.
Mais la vie ne lui a pas toujours fait de cadeaux. Les épreuves qui ont jalonné son chemin lui ont permis d’être avant tout une femme de cœur, sans artifice.
Par Maryse Dubé ([email protected])
Vous avez perdu votre mère à l’âge de deux ans et demi; quels sont les impacts que son décès a eus sur votre vie?
Pour moi, ma mère, c’était juste une photo sur une feuille de papier. Il n’y avait pas de dimension, pas d’odeur et pas de son. Dans ce sens, je n’ai pas l’impression d’avoir vécu un deuil alors que j’étais si jeune, contrairement à mes sœurs et mon frère qui étaient beaucoup plus vieux.
Le deuil a commencé à m’affecter quand je suis arrivée à l’adolescence. C’est là que je me suis questionnée sur qui était ma mère. Parce que, quand je pense à ma mère, c’est mon père que je vois puisqu’il assumait les deux rôles. Papa était un homme avec un caractère féminin, il était très doux et ne levait jamais la voix. Je pouvais lui dire n’importe quoi, mes peines d’amour et tout le reste. Il était toujours là pour m’accompagner.
Beaucoup plus tard, en faisant une rétrospective de ma vie, j’ai trouvé en moi de la haine pour ma mère, cette femme qui m’avait abandonnée. Parce qu’un enfant de cet âge qui perd sa mère se sent abandonné, il ne raisonne pas. Quand j’ai accepté cette haine au fond de moi, j’ai pu faire la paix avec ça.
Comment avez-vous fait la paix?
La première chose, c’est d’accepter d’avoir ce sentiment, parce que quand tu ouvres ce tiroir-là, c’est laid. Comment peut-on haïr une personne qui est morte de maladie et qui ne voulait pas partir? Papa me disait toujours que c’était une femme extraordinaire, mais dans ma tête d’enfant de deux ans et demi, elle m’avait abandonnée. Et j’étais restée accrochée à ça.
Quand j’en ai parlé à mon père, il m’a dit que j’avais le droit. Et c’est vrai que j’avais le droit, je n’étais pas dans la peau des plus vieux qui, eux, avaient l’âge de comprendre qu’elle a voulu guérir jusqu’à la fin.
Étiez-vous la seule à ne pas avoir de souvenirs de votre mère?
Oui. Les autres savaient ce qu’ils perdaient quand elle est morte. Tu ne peux pas passer à travers cette épreuve sans rester marqué, et on a tous été marqués de façon différente.
J’ai vu dernièrement une photo de nous, le premier Noël après sa mort qui a eu lieu un 25 novembre. Je suis la seule à sourire. À deux ans et demi, on ne sait pas ce qu’est la mort.
Y a-t-il des souvenirs que vous auriez aimé conserver?
J’aurais aimé l’entendre dire mon nom et me souvenir d’avoir dit maman…
Très jeune, j’ai voulu avoir des enfants pour sentir ce que c’est que d’être une mère et me faire appeler maman. Mais mes trois fils m’appellent mom, pourtant, on ne parle pas anglais pour cinq cents. Je n’ai jamais insisté, je voulais que ça reste naturel. J’imagine que le mot maman ne devait pas faire partie de mon vocabulaire, car mes petits-enfants ne m’appellent pas grand-maman, mais mémé.
Après le décès de votre mère, vous êtes allée vivre chez votre marraine. Était-ce temporaire?
Mon père avait besoin d’un peu de temps pour se revirer de bord, même financièrement, parce qu’on n’était vraiment pas riche. Dans ce temps-là, le médecin et l’hôpital n’étaient pas payés par la carte d’assurance maladie. Il a dû payer pour les soins de ma mère pratiquement toute sa vie.
Quand mon père est allé me reconduire chez ma marraine, je devais avoir à peu près trois ans et j’y suis restée un peu plus d’un an. À mon arrivée, j’avais une petite valise noire avec moi et j’étais devant des gens que je ne connaissais pas. Il m’a dit qu’il reviendrait me chercher tout de suite, mais je savais que ce n’était pas vrai.
Mon père m’a raconté que, lorsque je suis revenue à la maison, je n’arrêtais pas d’aller chercher ma petite valise et de la remettre sur le bord de la porte pour m’en aller. Ça, ça lui a fait de la peine.
Par la suite, votre père a choisi de reprendre ses enfants avec lui plutôt que de les placer définitivement. Comment était-ce perçu par son entourage?
On était six filles avec un homme de 39 ans. Il y avait du commérage c’est certain. Mon père avait beaucoup de pression pour nous placer, même de la part du gouvernement. Les gens venaient et disaient : Monsieur Laverdière, ce serait plus facile pour vous, même monétairement. On ne laissait pas un homme seul avec des enfants. Papa avait tellement peur que le monde pense de travers qu’il ne sortait jamais, il était toujours avec nous.
Il était très protecteur et très prude aussi. La nuit, quand il se levait pour aller à la toilette qui était au rez-de-chaussée, il prenait le temps de s’habiller au grand complet. Je ne l’ai jamais vu en short, pas même dans sa vieillesse.
Comment avez-vous vécu sa fin de vie?
Un jour, je lui ai demandé s’il avait fait ce qu’il voulait dans la vie. Il est parti à rire en me disant que réussir sa vie n’était pas de faire ce qu’on voulait, mais de faire ce qu’on devait. J’imagine quand même que mon père a dû trouver ça dur par bouts.
Il a été en phase terminale pendant trois semaines. On était plusieurs à se relayer pour être à ses côtés jour et nuit, deux personnes à la fois. J’ai eu la chance d’aller le voir la veille de sa mort, il était complètement lucide. Quand je suis arrivée, je lui ai demandé si je pouvais me coucher à ses côtés. Je voyais bien qu’il ne lui en restait plus pour longtemps. Je lui ai demandé s’il avait peur. Il m’a répondu qu’il était content de partir parce qu’il avait fait ce qu’il avait à faire et qu’il avait hâte d’aller voir ma mère : Ne me pleurez pas, j’ai eu une belle vie.
Il est mort en 2010 et je me rappelle encore son odeur. C’est important pour moi, car je n’ai eu aucun souvenir de l’odeur de ma mère.
En plus du deuil de vos parents, vous avez traversé plusieurs épreuves : le cancer de la glande thyroïde, une dépression, une petite fille polyhandicapée… Quels sont les pièges à éviter quand la vie nous malmène?
Le premier, et le pire, c’est de se mettre en boule et de ne pas parler. C’est ce qui m’a menée à une dépression. On vit tous des coups durs dans la vie, mais la pire chose à faire c’est de ne pas vouloir que ça paraisse. La solution est dans le dialogue et il faut beaucoup parler.
On vit tous des coups durs dans la vie, mais la pire chose à faire c’est de ne pas vouloir que ça paraisse.
Je me rappelle une fois, avant de monter sur scène, j’apprends que ma petite fille Jeanne ne va vraiment pas bien. Elle faisait de grosses crises d’épilepsie et on savait tous que c’était ce qui l’emporterait. Alors, avant de commencer le spectacle, j’ai dit aux gens que je venais d’avoir une mauvaise nouvelle : Je ne sais pas si je vais être capable de vous faire rire, mais je vais essayer.
Depuis ma dépression, je me donne le droit de dire les vraies choses. Pis si les gens n’aiment pas ça, ils ont le droit aussi, ils ne sont pas obligés d’aimer ce que je dis ni ce que je fais. J’ai dépassé ça.
Quand mon médecin m’a annoncé que j’avais le cancer de la glande thyroïde, j’avais 39 ans. Il est resté surpris de voir que je n’avais pas de réaction. Depuis mon enfance on m’avait mis dans la tête que j’étais comme ma mère. Donc j’étais sûre que j’allais mourir à 39 ans. Alors quand on m’a dit que j’étais guérie, réapprendre à vivre a été difficile. C’est quoi vivre, quand tu te mets dans la tête que tu as une date de péremption? Qu’est-ce qu’on fait après?
Après? Je suis partie en folle. J’avais un commerce et je faisais de l’argent. Je travaillais tout le temps. Tu peux avoir tout l’argent que tu veux, si tu n’as pas le plaisir d’en profiter, qu’est-ce que ça peut bien t’apporter?
Quand je me suis rendu compte de ma folie, je suis tombée en dépression. Je déteste la femme que j’étais, elle a failli me tuer.
J’ai fait un gros ménage de ma vie et après, ma petite-fille Jeanne est arrivée avec le syndrome de Rett atypique. Si je n’avais pas fait ma dépression avant, je n’aurais pas été capable de passer au travers.
Avez-vous eu des idées suicidaires?
Oui, et c’est allé très proche, jusque sur le bord. J’ai vu la mort en pleine face et j’ai décidé de revenir. Depuis, ma mort ne me fait plus peur.
Aujourd’hui, quand je regarde ma vie, je me dis que le plus beau cadeau que Dieu m’a envoyé c’est cette dépression. Avant, personne n’avait vu la vraie Marthe, elle était morte avec la petite valise noire. Ça m’a pris trois ans de travail sur moi-même pour découvrir que j’étais une femme fragile, qui aime rire et jouer des tours, qui s’émerveille de tout et aime la vie à la folie.
Je joue encore à la cachette parce que je n’ai pas joué quand j’étais enfant. Il fallait faire le ménage, faire à manger… Je peux-tu jouer moi aussi? Quand les petits viennent coucher chez nous, c’est le bordel, et je m’en fous. Je veux avoir du fun avec eux, c’est aussi simple que ça. Plus personne ne va mettre de pression pour que je sois ce que je ne suis pas.
Quels sont les outils que vous utilisez quand plus rien ne va?
La foi, car je suis croyante. C’est le seul outil que j’ai et qui me comble.
Mon père nous a appris très jeune le principe de l’ascenseur : quand tu rencontres une difficulté, tu fais tout ce que tu peux faire humainement parlant et tu mets le reste dans l’ascenseur en Lui disant « Arrange-toi avec ça ».
Tu ne peux pas juste demander le bon sans avoir le mauvais. Sur la Terre, il y a les deux. Tu ne comprends pas toujours ce qui t’arrive, ni pourquoi. Mais je sais que je ne serais pas la personne que je suis si je n’avais pas vécu tout ce que j’ai vécu, le bon comme le mauvais. Je suis convaincue qu’il n’arrive rien pour rien.
Vous avez créé une fondation pour les familles qui vivent avec un enfant handicapé. Quels sont vos projets?
Ça fait plus de cinq ans qu’on donne pour du répit, de l’adaptation de maison ou de véhicule, des camps de jour, de la physio ou de l’ergo au privé. Mais mon rêve, c’est d’avoir une maison de répit sur la Rive-Sud de Québec.
Le but premier de la Fondation est toujours le même et on répond aux demandes qui viennent de partout au Québec. Mais l’excédent, on le met de côté pour créer la Maison et j’ai espoir qu’on va réussir. On veut aller au maximum de ce qu’on peut faire par nous-mêmes avant de faire une levée de fonds. Une partie des profits réalisés par mes spectacles et mes conférences va là-dedans, la plupart de mes droits d’auteur vont là aussi; on vend des livres après les spectacles et plusieurs personnes font des dons.
Je n’ai jamais été aussi heureuse que depuis qu’on donne à la Fondation, pis crois-moi qu’on en donne beaucoup.
Vous offrez une conférence qui s’intitule « On peut-tu être heureux? » Ça se trouve où le bonheur dans l’épreuve?
Le bonheur, on le cherche partout, surtout dans l’avoir. Mais en réalité, le bonheur n’est pas dans le « je » et les biens qu’on possède, il est dans le « nous », dans l’ouverture à l’autre, dans l’infini du don. Le reste, c’est du make-up.
Le bonheur n’est pas dans le « je », il est dans le « nous », dans l’ouverture à l’autre, dans l’infini du don.
On me disait dernièrement que je pourrais faire plein de choses pour moi avec cet argent-là. Mais qu’est-ce que ça me donnerait? Je ne peux pas manger plus que ce que je mange, je ne peux pas m’habiller plus que ce que mon corps peut supporter sans avoir chaud, je n’ai pas besoin d’une auto neuve pour me rendre à destination. Qu’est-ce qui va rester à la fin de mes jours? Un chiffre dans un compte en banque? Ça ne donne rien, ça. Rien que de la chicane pour mes enfants. Mais si je réussis à mettre le nom de Jeanne sur une maison, ça, par exemple, ça compte!
Vous voulez faire un don? Un reçu de charité sera remis.