Les rituels funéraires au Pérou

Au Pérou, les rituels funéraires sont sacrés. Tous ont à coeur de prendre soin de leurs morts, même les plus démunis. Le 1er novembre de chaque année est consacré jour férié, afin que chacun puisse célébrer la Fête des Morts en grand. Quand on est sur place, on est en mesure de constater combien cette fête prend son sens pour ce peuple tricoté serré. Ce jour-là, ne cherchez pas les Péruviens dans les boutiques, au cinéma ou sur un terrain de sport, car la plupart d'entre eux sont au cimetière les bras chargés de fleurs pour ceux qu'ils ont tant aimés. Certains apportent quelques denrées pour pique-niquer mais, dans les grands cimetières comme le Cimetière Général Prêtre Matías Maestro de Lima, plusieurs casse-croûte de fortune apparaissent pour l'événement, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'enceinte.

N'espérez pas stationner votre véhicule dans les rues avoisinantes, elles sont impossibles d'accès. Même à pied, se déplacer dans les rues est un périple tellement elles sont bondées de monde et de kiosque itinérants. Les innombrables marchands de fleurs sont prêts à combler les besoins de ceux qui arrivent les mains vides mais, malgré l'abondance et la diversité, plusieurs endeuillés ont déjà en main tout ce qu'il faut pour fleurir les tombes des trépassés. Dans les taxis, on a peine à voir les gens derrière les gigantesques bouquets qui sortent des fenêtres baissées.

Alors, quand on dit aux Péruviens que chez nous, la plupart des cimetières sont pour ainsi dire désertés à l'année, ils ne comprennent pas. Bien que même là-bas, ce ne soit pas fête tous les jours et que le reste du temps les cimetières ont une vie plus modeste, leurs pratiques funéraires diffèrent des nôtres sur bien des plans.

Par exemple, à Serviperu, coopérative associée à notre réseau, la thanatopraxie s'installe très lentement. L'an dernier, seulement 20 embaumements ont été pratiqués sur 250 décès traités. Il faut dire que la réalité économique limite en grande partie les services demandés. Rapidement après le décès – nécessité oblige – la plupart des défunts que l'on souhaite exposer le sont dans un cercueil muni d'une vitre. Par la suite, à peu près tout le monde réclame une célébration catholique avant de procéder à la disposition du corps. À ce propos, notons que seulement 10 % des personnes décédées sont incinérées, quoique l'incinération soit une pratique qui tend à croître là comme ailleurs.

Puisque les funérailles se font rapidement après le décès, il est courant que les proches endeuillés ne puissent rejoindre tout le monde à temps. Le court délai fait également en sorte que les personnes rejointes n'ont pas toutes la possibilité de se déplacer pour assister aux funérailles. Aussi, afin d'offrir à ceux qui le souhaitent l'opportunité de faire leurs adieux à la personne décédée et d'apporter leur soutien aux personnes éprouvées par le deuil, on souligne à nouveau le départ de l'être cher un mois après son décès. La famille prend ainsi soin d'identifier ceux qui ont eu un lien avec le défunt – familles, amis, collègues, voisins – et des faire-part sont envoyés à chacun. Ce deuxième temps d'arrêt, plus convivial et moins solennel, permet de se remémorer la vie du défunt autour d'un goûter tout en lui rendant hommage pour ce qu'il a légué.

À bien des égards, les valeurs humaines qui s'y vivent s'approchent de ce que vivaient nos ancêtres. Les personnes endeuillées sont entourées par leurs proches, de sorte que les groupes d'entraide n'existent pas. Pas plus d'ailleurs que les rencontres avec un psychologue proposées par les maisons funéraires comme outil de soutien au deuil. L'idée de confier leur chagrin à un étranger semble inappropriée, aux yeux des Péruviens. Le défunt n'avait plus de famille ? Qu'à cela ne tienne! Il vivait dans une communauté qui, dans un esprit d'entraide, accepte de l'accompagner jusqu'à son dernier repos. Personne n'est laissé dans l'oubli. Tout le monde a droit à un lieu de sépulture, et on n'hésite pas à passer le chapeau pour couvrir les frais funéraires de ceux qui sont sans le sou. Quand on regarde la tendance à l'individualisme des pays industrialisés mieux nantis, c'est à se demander si le progrès doit nécessairement toujours aller droit devant.

Texte et photos : Maryse Dubé
Publié dans la revue Profil - printemps 2012

Ritualiser la mort : un besoin universel