Le métier de porteur : Accompagner les corps vers leur dernier repos

Il y n'y a pas si longtemps, les porteurs étaient le plus souvent choisis parmi les proches du défunt lors de funérailles. Le choix des porteurs prenait pour la famille une grande signification et se faisait en tenant compte de leur lien avec le défunt : les fils, les frères, les collègues de travail, les coéquipiers de la ligue de hockey, les membres d'un club social. Dans le déroulement des funérailles, le choix des porteurs revêtait alors une symbolique particulière.

Cela se fait encore aujourd'hui, étant donné que beaucoup de familles accordent une grande importance à choisir des porteurs proches du défunt. De plus en plus, cependant, les familles choisissent plutôt de confier cette responsabilité à des porteurs dont c'est le travail. C'est ainsi qu'est apparu ce nouveau métier dans l'industrie des services funéraires. Aujourd'hui, il est fréquent de recourir aux porteurs rattachés à la Coopérative afin de porter le corps ou les cendres du défunt vers son dernier repos.

Tous trois porteurs, Georges Goupil, de la Coopérative funéraire du Plateau, Marcel Petit, de la Coopérative funéraire de l'Estrie, et Benoît Poirier, de la Maison funéraire Harvey (mouvement coopératif), estiment qu'ils apportent une contribution complémentaire, mais essentielle, aux services funéraires. « Nous avons un rôle de soutien, confie Benoît Poirier. On sert de support, on accompagne. » Ensemble, ils cumulent plus de 20 ans de métier comme porteur.

Semi-retraités, après avoir mené des carrières de photographe professionnel, d'épicier ou de directeur d'établissement de santé, les trois porteurs travaillent aujourd'hui pour les gens qui ont terminé leur vie, mais surtout pour leurs familles qui doivent vivre cette perte. Le porteur se voit confier le fardeau douloureux des familles.

Marcel Petit explique l'avènement du métier de porteur par les mœurs qui changent et à certaines craintes qu'inspire la mort : « Il y a des gens qui refusent de toucher à l'urne ou au cercueil. C'est pourquoi il y a des porteurs. » Mais leur métier ne s'arrête pas qu'à porter un cercueil ou une urne : « Nous sommes comme un membre de la famille qui accompagne le défunt à sa dernière demeure avec un grand respect », déclare Georges Goupil.

Le métier de porteur implique de multiples fonctions. En plus de porter l'urne ou le cercueil, les porteurs s'occupent entre autres du transport des fleurs, du bon fonctionnement de la cérémonie à l'église dont la quête, du bon déroulement du cortège, de la mise en terre du corps ou des cendres.

Les contacts avec les familles se font par le directeur des funérailles. Les porteurs sont là pour le seconder; il est plutôt rare que le porteur soit directement en contact avec les familles. Mais même s'ils affirment avoir peu de contacts directs avec elles, leurs relations n'en demeurent pas moins empreintes de respect : « On ne s'impose pas. On donne à la famille ce qu'elle veut. » Il arrive que les familles aient des requêtes particulières. Le porteur a pour souci premier de satisfaire ces exigences : « On se rend utile. ». « Il nous arrive de parler avec les gens, soutient Benoît Poirier. Parfois, on s'avance vers eux; parfois, ils viennent à nous. Nous avons davantage de contacts lorsque l'on connaît la famille de la personne décédée. »

Des débuts difficiles

Côtoyer la mort quotidiennement est un apprentissage. Marcel Petit affirme que devenir porteur n'a pas été simple « Au début, j'étais réticent. Les premières fois, c'est difficile, ça te marque. » Pour sa part, Benoît Poirier a travaillé avec la mort toute sa vie. « Être porteur, c'est la continuité de ma carrière dans les établissements de santé. J'ai été entouré de gens malades toute ma vie, je les ai vus mourir. » Depuis toutes ces années, nos trois porteurs affirment qu'il est maintenant moins difficile de vivre la mort chaque jour. « Il y a des gens qui me demandent ce que je fais pour travailler avec les morts. On ne doit pas s'arrêter à ça. Avant, j'avais peur du corps des défunts. Maintenant, je suis capable de prendre une distance face à cela. On s'y habitue », soutient Marcel Petit.

Mais ne devient pas porteur qui veut; lorsqu'on leur demande quelles qualités il est nécessaire de posséder pour faire leur métier, Georges Goupil répond que « le porteur doit être discret dans ses émotions et posséder une certaine force morale et physique ».  « Pour être porteur, il faut être en santé parce qu'il faut faire des efforts. C'est lourd un cercueil. Il faut également être aidant, avoir le souci de satisfaire la famille, être poli et disponible. C'est un travail d'équipe », ajoute Marcel Petit. Cette notion de travail d'équipe est primordiale, complète Benoît Poirier : « C'est un travail d'équipe. Nous sommes habituellement six, mais nous ne formons qu'un. Nous travaillons en collaboration et nous tentons de toujours nous améliorer. Il y a une grande communication entre les porteurs. On se parle, on réfléchit ensemble. »

Les coups durs

Les porteurs vivent parfois des moments émouvants lors des funérailles : « Il y a des moments difficiles, admet Marcel Petit, c'est pire quand c'est des jeunes ou des gens qu'on connaît bien. » Georges Goupil abonde dans le même sens : « Ce qu'il y a de pire, c'est de porter en terre un enfant. Les hommages et les chants échangés lors de la cérémonie sont aussi très émouvants. » Selon Benoît Poirier, « le départ du salon, la fin de la cérémonie et la mise en terre sont les moments les plus chargés d'émotion. C'est plus difficile si c'est une personne que l'on connaît. On vit cela avec la famille. »

Pourtant, bien qu'ils fréquentent sans cesse des familles éprouvées, les porteurs doivent garder une distance face à elles : « Nous ne pouvons prendre sur nos épaules le chagrin ou la peine de chaque famille éprouvée, confie Georges Goupil. Lors des moments plus émouvants, je me recueille en gardant une pensée positive pour le défunt. » C'est là l'avantage de toujours travailler en équipe; ça aide à garder cette distance. « On se supporte entre nous, rajoute Benoît Poirier. On a un rôle à jouer et nous allons le jouer. Ce serait pire pour la famille si nous avions l'air triste. Les gens attachent une importance au décorum. Par nos gestes, on respecte le défunt et la famille. Les familles l'apprécient. Souvent, elles viennent nous remercier. »

Le regard sur la vie

Depuis que ces trois porteurs exercent ce métier, leur vision de la vie a changé. Georges Goupil l'apprécie davantage : « Ça m'a permis de prendre conscience de la beauté de la vie, d'en apprécier chaque moment, car je ne sais jamais quand sera mon tour. » Pour sa part, Marcel Petit a changé sa vision de la mort et du corps du défunt : « Ma crainte de côtoyer les morts est partie. Lorsque ma mère est décédée, j'ai pu la toucher, l'embrasser. Si je n'avais pas été un porteur, j'aurais été craintif face à elle. Ça m'a aidé. Ça fait apprécier la vie. »

Benoît Poirier, qui a côtoyé la mort toute sa vie, philosophe : « Je pense différemment, c'est sûr et le cheminement est différent. Mon expérience de vie modifie mon approche personnelle; on n'a pas la même philosophie de la vie et de la mort. J'apprécie davantage ce que je vis. Je suis chanceux de pouvoir m'en rendre compte. Le fait d'être porteur m'y fait réfléchir davantage. »

Par Véronique Poulin
Avril 2004

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