Le deuil est une épreuve tellement difficile qu'on a peine à imaginer que certains le côtoient quotidiennement dans leur travail. C'est pourtant le métier qu'ont choisi les conseillers aux familles qui œuvrent dans les coopératives funéraires.
Les trois conseillers aux familles que nous avons rencontrés ne laissent aucun doute sur la qualité de leur engagement. Dans les trois cas, la voix est calme, rassurante, posée. Les mots sont simples, chaleureux et empreints d'empathie. À leur contact, on ne peut s'empêcher de penser que ces trois-là ont trouvé une mission qui convient à leur nature généreuse : aider les familles endeuillées à organiser les derniers adieux à un proche disparu.
En plus d'être conseillers aux familles, ils sont à la direction de coopératives funéraires situées dans le Bas-Saint-Laurent, dans la région de Québec et dans les Laurentides. C'est avec beaucoup de chaleur qu'ils parlent de leur métier.
« Notre rôle, c'est de guider les gens dans la démarche des funérailles », soutient Nancy Alain, directrice générale à la Coopérative funéraire de la Rive-Nord depuis maintenant 6 ans. « Souvent, les gens arrivent ici sous le coup des émotions. Ils sont tellement pris dans leur peine que toutes les démarches leur semblent une montagne. Ma mission est d'éclairer tous les chemins possibles pour que les gens soient en mesure de prendre la meilleure décision pour eux et leur famille. »
Et des choix il y en a ! Louise Talbot en sait quelque chose. Oeuvrant dans le monde funéraire depuis maintenant 12 ans à la Coopérative funéraire du Bas-Saint-Laurent, elle est en mesure de le constater. « C'est rendu tellement vaste comme choix. Les services sont plus complets, le conseiller aux familles fait maintenant beaucoup plus de liens avec l'église, le cimetière, la salle de réception et tout ce qui touche la direction de funérailles. On donne de l'information à la succession concernant les démarches à entreprendre après le service religieux, on leur présente toutes les ressources disponibles. Il n'y a pas deux familles pareilles; ce qui est bon pour un n'est pas nécessairement bon pour tout le monde. »
Directeur général à la Coopérative funéraire Mgr Brunet à Mont-Laurier depuis 1988, Denis Soucy abonde dans le même sens. « Auparavant, on prenait ce que les gens voulaient et on le faisait comme ça. Maintenant, l'offre de service est beaucoup plus large, on essaie de voir leur situation, leurs besoins, leur contexte et de faire des propositions et des suggestions. Je joue davantage un rôle de conseiller. »
« De plus en plus, les gens choisissent de personnaliser les textes, les prières, les arrangements floraux, ils nous demandent des minutes de silence pour s'arrêter devant la maison du défunt, ajoute Louise Talbot. Ils nous demandent des envols de colombes ou de ballons, des mosaïques de photos, ça peut parfois leur prendre une journée à rassembler tous ces moments importants. Certains apportent des objets précieux, on fait un beau montage, on a de belles musiques significatives. Rien n'est oublié pour que le moment des funérailles soit intense et que ça parle aux gens. »
Écouter et guider
Le conseiller aux familles joue aussi un rôle très important dans le déroulement du deuil. La relation d'aide est un élément important dans son travail. Dans bien des cas, il est là pour donner de l'information et pour écouter.
« On est comme une bonne oreille, soutient Nancy Alain. On n'est pas psychologues et on n'est pas de la famille, mais les gens se confient facilement à nous. C'est important de donner beaucoup d'énergie positive à ces familles-là. Je me dis que tout ce que je peux leur donner, c'est important pour eux. Il m'arrive parfois d'être épuisée le soir. Mais c'est important pour les gens qu'on soit là à 100 %. »Denis Soucy ajoute : « Il faut aimer les gens pour faire ce travail, il faut avoir le goût du service au client, de la considération, de l'empathie, de la présence, du respect, de la souplesse et de l'ouverture. Mais en même temps, il faut avoir assez de structure et de direction dans ce qu'on fait avec eux pour les situer, les encadrer, pour qu'ils repartent en disant « on sait où l'on s'en va et on sait que quelqu'un va nous guider ». Les gens qui arrivent ici ne savent pas par où commencer, ils ne savent pas quoi faire. Oui, il faut les écouter, mais il faut aussi les encadrer pour qu'ils repartent rassurés sur les démarches. »
« Ceux qui viennent nous voir vivent une situation inhabituelle. Pour eux, ce sont des moments qu'ils n'oublieront jamais, d'où l'importance d'être très présent, soutient Louise Talbot. Quand les gens ont accompagné un proche mourant toute la nuit, c'est possible qu'ils aient envie d'en parler en venant me voir. Il faut que je sois prête à recevoir ça. Il ne faut pas avoir la tête pleine, mais être prêt à vivre ça avec eux. »
« Ça m'est arrivé d'avoir la gorge serrée ou les yeux dans l'eau pour certaines familles, affirme Nancy Alain. On n'est pas insensible à la peine des autres. Quand on s'occupe des funérailles d'un bébé, c'est certain que ça me touche puisque j'ai des enfants. On ne peut pas faire ce travail sans avoir beaucoup de sympathie pour les gens. La question n'est pas d'entrer avec eux dans leur peine, mais de faire en sorte que les gens se sentent appuyés, qu'ils sentent qu'on n'est pas indifférent à leur peine. »
« Ce qui me touche beaucoup, c'est les circonstances tragiques comme les accidents ou le suicide qui laisse des questionnements sans réponse, ajoute de son côté Louise Talbot. Je trouve tragiques aussi les disparitions, quand le corps n'est pas retrouvé. Ce qui me touche aussi, c'est souvent le courage du malade et des proches dans les longues maladies. C'est une leçon de vie à tous les jours. Quand on n'a pas de maladie, pas de tragédie, mon Dieu, on respire, on est en vie ! C'est ça savourer les petits bonheurs de tous les jours. »
« Moi, je suis très touché par l'attitude des enfants qui viennent au salon, souvent pour le décès d'un grand-parent, affirme Denis Soucy. On les voit arriver au salon, parfois apeurés ou perdus parce qu'évidemment ils ne savent pas ce qui se passe. Parfois, ils ont une peine terrible. Mais une fois qu'ils sont entrés, qu'ils ont marché un peu, qu'ils ont parlé ou touché au défunt, qu'ils ont vu les autres réagir, ils reprennent leur naturel. Je suis toujours étonné de voir comment les enfants intègrent ça la mort, mais à la condition de leur donner l'occasion de le faire. Si on les laisse à la maison pour ne pas les bouleverser, c'est foutu! Quand les parents me demandent s'ils doivent amener leurs enfants, je leur dis oui, sans hésitation. Ils ont une façon de saisir et de s'approprier ces réalités-là, mieux que bien des mots pourraient le faire. Quand il y a des enfants ici, parfois je leur offre des crayons et du papier et je leur propose de dessiner l'amour qu'ils ont dans leur cœur pour grand-père ou grand-mère. C'est étonnant de les voir s'installer à table et faire leur dessin. Certains vont ensuite aller le porter dans le cercueil. En faisant cela, ils posent un geste qui est significatif à leur échelle. On dirait que la vie reprend son cours, qu'elle se remet à circuler. C'est comme si la vie et l'amour arrivent toujours à retrouver leur chemin. »
Des rituels qui ont un sens
Le domaine funéraire est un monde d'émotions. Un deuil dure souvent plusieurs mois, voire plusieurs années. D'où l'importance de prendre le temps de saluer le départ du défunt.
« Les funérailles sont des moments intenses, c'est le moment où l'on fait le bilan de la vie du défunt, affirme Louise Talbot. Tout le monde se rassemble, la famille, les amis, les connaissances du défunt; chacun a un attachement différent, des liens différents, mais chacun a pris un moment d'arrêt pour être présent en souvenir de cet ami, ce père, ce confrère. C'est important. Il faut prendre le temps de s'arrêter et de se dire cette personne-là, je l'ai aimée, elle m'a rendu service; si je suis rendu là, c'est un peu grâce à elle. »
« On est des êtres de réel et de concret, ajoute Denis Soucy. On a besoin de signes et de gestes concrets pour vivre les choses et les exprimer. Quand on choisit le déroulement des funérailles, on choisit une façon de dire son lien, son attachement, son amour et une façon de dire oui au départ de la personne qu'on aime. En faisant cela, ce sont des pas qu'on fait dans son deuil. Ce qu'on essaie de faire ici, c'est d'amener les gens à poser des gestes et à faire des choix. »
« Depuis que j'ai perdu mon père, il y a deux ans, je suis encore plus en mesure de faire le lien, soutient Nancy Alain. La famille et les amis sont venus le voir au salon, à l'église. Si on avait apporté le corps directement au cimetière, je me serais sentie privée de quelque chose de très important. Je dis toujours aux gens que c'est important de faire des funérailles, que c'est un hommage qui doit être rendu à cette personne-là. »
Un regard différent sur la vie
« C'est un travail qui demande beaucoup, mais qui m'apprend beaucoup, affirme Nancy Alain. Je n'ai pas l'impression de travailler avec la mort, j'ai l'impression d'aider les gens. Mon travail m'a rendue beaucoup plus tolérante face à mes proches, plus à l'écoute des besoins des gens, plus généreuse. À Noël passé, j'étais au bureau pour rencontrer une famille qui venait de perdre sa mère. En retournant à la maison, j'ai réalisé la chance que j'avais. Je me disais que je pourrais fêter plus tard et que j'aurais d'autres Noël, tandis que pour cette famille, Noël serait pour longtemps associé au décès de leur mère. »
« Au début j'avais un peu peur de la mort, surtout que je ne l'avais jamais vue de près, soutient de son côté Louise Talbot. Quand j'ai moi-même traversé le deuil, ce que j'ai appris tient en quelques mots : tout au long de notre vie, on fait beaucoup de choses, on accumule les réalisations, on cherche à prouver des choses, à nous et aux autres. Mais quand on part, la seule chose qui reste, en fait, c'est les relations qu'on a eues avec les gens qu'on a aimés, l'amitié, l'affection. Pour moi, les relations ont pris une importance beaucoup plus grande. J'ai reconnu l'humain dans ça. »
Par France Denis