Internet... Quand les traces laissées survivent au défunt !

Aujourd'hui, la majorité des Québécois ont ajouté une facette numérique à leur identité. Cette identité numérique s'inspire des traces (informations, photographies, opinions, etc.) que nous et notre entourage laissons sur Internet, volontairement ou non, que nos proches en soient informés ou non. Or, ces traces sont souvent plus ou moins permanentes et risquent de survivre au défunt. Doit-on s'en soucier ? Que peut-on y faire ?

En quoi consiste l'identité numérique ?

Nous avons tous une identité personnelle. C'est ce qui nous caractérise et nous différencie des autres. Cette identité est complexe et constituée de multiples facettes. Nos gestes, nos paroles, nos valeurs, nos goûts et préférences sont des exemples de facteurs qui contribuent à définir qui nous sommes. Notre identité est d'autant plus complexe qu'elle comprend aussi les gestes des autres à notre égard, ce qu'ils disent à notre sujet, ce qu'ils expriment à propos de nos goûts et préférences, etc. Notre identité est aussi dynamique. Elle change constamment et évolue tout au long de notre vie. Finalement, notre identité est multiple au sens où elle ne nous appartient pas totalement et varie selon le contexte dans lequel les gens nous ont rencontrés.

Depuis quelques années, plusieurs d'entre nous ont ajouté un volet numérique à leur identité. Selon des données récentes1, 77,1 % des Québécois sont des internautes réguliers et près de 40 % utilisent les réseaux sociaux comme mode de communication dans un cadre personnel (une augmentation de 10 % par rapport à 2010). En moyenne, les Québécois passent un peu plus de 16 heures par semaine sur Internet. Ils y laissent des traces volontaires (commentaires sur des blogues, photos, statuts sur Facebook ou Google+, billets sur des forums, etc.) et des traces involontaires sans trop le savoir ou y penser. Dans cette seconde catégorie, il y des informations techniques comme notre système d'exploitation ou la taille de notre écran. Il y a aussi des informations plus personnelles comme notre historique de navigation et de recherches, nos contacts ou nos relations et plus encore. Plusieurs de ces données peuvent être consultées plus ou moins librement et contribuent à former l'aspect numérique de notre identité. Bien des gens, maintenant, ne nous connaissent que par Internet.

Récemment, avec l'informatisation dans les nuages, nous stockons aussi sur le Web nos courriels, nos photos, notre musique et des documents plus ou moins confidentiels ou personnels. Peu d'utilisateurs ont vraiment lu et analysé les conditions d'utilisations de ces services avant de les utiliser. Bien des spécialistes en marketing et des criminels se spécialisent maintenant dans l'exploitation de cet aspect de notre identité.

Pourquoi devrait-on s'en soucier ?

À votre décès, qu'adviendra-t-il des photos que vous avez stockées sur Picasa, Flickr ou Facebook? Comment se sentiront vos proches après votre décès si une multinationale d'Internet utilise l'une de vos photos personnelles pour sa publicité à la télé? Et si quelqu'un décidait de récupérer et de continuer à utiliser votre compte Facebook et l'adresse de courriel qui y est associée pour « vous faire revivre en publiant des pensées en votre nom » ou carrément pour profiter de votre identité positive pour escroquer des gens, comment réagiraient les personnes qui vous aimaient? Qui aura accès à vos courriels et qu'en feront-ils? Et si un pirate prenait le contrôle du compte Hotmail du défunt peu après son décès pour, par exemple, vendre illégalement du Viagra ou d'autres produits pharmaceutiques? Ce pirate pourrait aussi tenter d'escroquer le public en envoyant des courriels racontant des histoires abracadabrantes visant à soutirer de l'argent à ceux qui sont moins critiques. Comment réagiraient les proches du défunt si des procédures légales ramenaient soudainement à leur mémoire la douleur du décès ?

Selon le degré et la nature de l'utilisation d'Internet par le défunt, la gestion de l'aspect numérique de son identité peut être très importante et difficile pour au moins deux raisons. D'abord, ces informations vont demeurer en ligne longtemps après son décès. Ensuite, ces informations sont plus ou moins contrôlées par des compagnies ou des gens qui ne vous connaissent pas et avec qui vous n'entretenez aucune relation personnelle. De plus, ces compagnies sont souvent basées à l'extérieur du Canada et régies par des lois différentes des nôtres.

Quoi faire pour éviter des difficultés à nos proches ?

Il faut d'abord être conscient de l'existence de notre identité numérique. Il faut ensuite penser à transmettre, d'une manière ou d'une autre (testament, lettre, registre personnel, etc.), les informations nécessaires à la gestion de nos comptes et données personnelles (liste des services Web que l'on utilise, adresses de courriel utilisées pour s'inscrire, noms d'utilisateur et mots de passe) à notre exécuteur testamentaire ou à un proche en qui nous avons confiance. C'est particulièrement important parce que les compagnies qui contrôlent nos données ont toutes des pratiques différentes quant à la gestion des données d'un défunt. Dans certains cas, faire fermer un compte et récupérer les données sans connaître le nom d'utilisateur et le mot de passe est impossible sans procédures légales coûteuses. Dans d'autres cas, le compte ne pourra carrément pas être complètement fermé et les données vont demeurer en ligne après le décès même si l'on connaît le nom d'utilisateur et le mot de passe. Chaque compagnie a sa propre manière de gérer les données d'un défunt, mais il est presque toujours plus facile de fermer un compte ou de récupérer les données d'un défunt si l'on a les informations citées plus haut.

En guise de conclusion, j'invite tous les utilisateurs d'Internet à être plus critiques et à penser au futur. Lorsqu'il est question de votre identité numérique, le plus sage est d'adopter une posture légèrement méfiante aujourd'hui afin d'éviter des problèmes dans le futur. Il faut chercher à savoir ce que les sites sur lesquels vous laissez des traces font de vos informations personnelles en lisant les politiques de confidentialité et d'utilisation de l'information de chaque site ou compagnie, bien lire les contrats avant de « cliquer ici pour créer votre compte en 2 minutes! », vérifier s'il existe d'autres alternatives ailleurs sur le Web qui offrent le même genre de service, comparer les politiques de confidentialité et d'utilisation de l'information des sites alternatifs et ne pas hésiter à poser des questions aux entreprises ou aux administrateurs des sites Web en leur envoyant un courriel ou en leur téléphonant. Bref, il faut se questionner et chercher à savoir ce que l'on exige de nous en échange des services offerts.

Souvenez-vous qu'il est aussi de la responsabilité de l'utilisateur de s'éduquer en matière de nétiquette et de sécurité sur Internet en visitant, par exemple, des sites dédiés aux compétences informationnelles (ex. : pdci.uquebec.ca), à la sécurité publique sur Internet (ex. : cnil.fr, monidentite.isiq.ca) ou des forums facilitant l'éducation aux technologies (ex. : commentcamarche.net).

Pour éviter des difficultés à vos proches...

  1. Quand vient le temps de choisir un service en ligne (courriel, stockage de photos ou de documents, etc.), préférez des compagnies ou des sites Web canadiens.
  2. Ne multipliez pas inutilement les services en ligne que vous utilisez (ex. : ne pas avoir trois adresses de courriel chez trois fournisseurs différents inutilement).
  3. Tenez une liste à jour avec vos mots de passe et vos noms d'utilisateurs pour faciliter l'accès à vos ordinateurs, vos logiciels et les sites Web que vous utilisez.
  4. Conservez une copie « papier » de cette liste dans un endroit secret. Une version électronique ne sert à rien si on ne connaît pas le mot de passe de l'ordinateur ou si ce dernier se brise au mauvais moment...
  5. Partagez l'information quant à la localisation de cette liste avec une personne en qui vous avez confiance (exécuteur testamentaire, membre de la famille).

Par Patrick Giroux, Ph. D.

Patrick Giroux est professeur au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Chicoutimi et chercheur associé au CRIFPE. Il est très actif sur le Web où il assure une présence sur Google+ (+Patrick Giroux), Twitter (@pgiroux) et son blogue (pedagotic.uqac.ca).

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1. Cefrio [2012]. L'informatisation au Québec en 2011.

Publié dans la revue Profil - Printemps 2013

Choisir de côtoyer la mort