After Faceb00k est un projet de recherche qui aborde les rituels de deuils sur la plateforme Facebook. Amorcée par deux jeunes photographes, cette démarche permet de porter un regard nouveau sur notre approche de la mort via ce réseau. D'abord intéressés par la popularité montante de Facebook et par la quantité phénoménale de photographies que les internautes partagent, les artistes ont documenté pendant trois ans les transformations de la photographie à l'ère des réseaux sociaux. Après une tournée d'expositions pancanadienne, After Faceb00k proposait en 2015 une œuvre immersive dans le cadre du Mois de la Photo à Montréal.
De la vie privée à la vie publique : des rituels sans frontières
Dans le domaine de la photographie documentaire, acquérir la confiance d'un sujet pour accéder à son quotidien peut être un long processus. Or, sur Facebook, les utilisateurs se photographient aisément dans des situations privées. Cette aisance nous a interpellés.
La grande majorité des photographies que nous trouvions étaient « publiques », c'est-à-dire qu'elles étaient visibles par l'ensemble des usagers. Notre démarche nous a donc amenés à considérer l'espace virtuel de Facebook comme un territoire où il est possible de déambuler pour sélectionner, s'approprier et archiver le contenu rendu public par ses usagers, à travers un mélange de vie privée et de vie publique. À partir de captures d'écran, nous avons figé les photographies qui nous intéressaient avec les commentaires qui y étaient rattachés. De cette façon, nous pouvions conserver une multitude de détails et d'information qui nous ont aidés à comprendre l'évolution de la photographie dans son contexte de diffusion.
Au cours de nos recherches, nous avons récolté et classifié pas moins de 5 000 images. Il nous est arrivé d'aboutir par hasard sur des profils de personnes décédées. Nous les avons documentés sans trop savoir où cela nous mènerait.
Il n'est pas possible de savoir exactement combien d'utilisateurs décédés ont encore un compte Facebook. C'est une situation délicate à laquelle Facebook propose désormais une solution. Depuis 2015, il est possible de nommer un légataire à notre compte après notre décès. Mais par le passé, si l'utilisateur n'avait pas légué son code d'accès à un proche, le compte était voué à rester actif.
C'est encore le cas pour un bon nombre d'utilisateurs décédés qui ont un compte actif. Des messages de deuils sont laissés sur leur mur qui se transforme ainsi en une sorte de mémorial improvisé.
D'autres utilisateurs prennent aussi l'initiative de créer des communautés autour d'événements bien précis, telle la mort de soldats en Afghanistan. On retrouve dans ces communautés une grande quantité de photographies (ex. : photos sur les camps militaires), et les gens qui fréquentent ces groupes vivent le deuil autour d'une cause commune.
Nous croyons que Facebook réactualise les rituels du deuil. En effet, le réseau social permet désormais de se recueillir auprès du défunt, sans contrainte géographique. De partout dans le monde, il est possible de laisser un commentaire sur le profil de la personne décédée sans avoir à se rendre aux funérailles ou au cimetière.
On remarque également que si le réseau social permet un éclatement du site de deuil, la temporalité du deuil est elle aussi amplifiée. D'une part, nous pouvons accéder au profil du défunt à n'importe quel moment du jour ou de la nuit. D'ailleurs, certaines des photographies recueillies étaient partagées en temps réel sur Facebook. D'autre part, nous étions parfois à quelques secondes d'un accident survenu en Afrique, ou parmi les invités d'un enterrement aux États-Unis.
Dans toutes ces situations, on remarque que sur Facebook, le deuil peut se faire avec un public élargi qui ne compte plus exclusivement que les proches du défunt. Comme le contenu est partagé publiquement par les utilisateurs, on peut y avoir accès sans se lier d'amitié avec ceux-ci.
Du virtuel qui s'appuie sur une structure bien réelle
Nous avons également voulu mettre l'accent sur les structures technologiques et énergétiques qui permettent au réseau social de fonctionner, et donc à ces phénomènes de deuils virtuels d'exister.
Il importe de comprendre que les images téléversées et les interactions qui sont faites sur Facebook sont stockées dans d'immenses tours de serveurs informatiques qui sont généralement cachées du public. Ces infrastructures énergivores peuvent nécessiter des ressources énergétiques similaires à celles d'une petite ville.
Lorsque le spectateur entre dans After Faceb00k : À la douce mémoire <3, il est accueilli par le bruit sourd et austère de neuf serveurs informatiques qui roulent à plein régime. Placés à la verticale, les serveurs rappellent la forme d'une stèle ou d'une pierre tombale, dans laquelle les données des utilisateurs Facebook sont conservées. Au-dessus de chaque stèle, un écran faisant face au sol diffuse les photos et messages de soutien des comptes Facebook que nous avons observés. Les écrans sont placés au plafond face au sol, pour symboliser le ciel où vont les âmes des personnes défuntes, mais aussi le stockage Cloud.
Par la façon dont nous avons conçu l'installation, nous désirions rendre visibles certains enjeux qui découlent de la numérisation de nos rituels de deuil, plus précisément des ressources technologiques et énergétiques qui nous permettent d'accéder et d'entretenir les profils des personnes défuntes.
Le réseau social Facebook s'est rapidement greffé à nos vies au cours des dix dernières années. Il a radicalement changé la façon dont nous communiquons ensemble. Beaucoup de visiteurs se sont sentis interpellés par notre projet. Certains venaient de vivre le deuil d'un proche Facebook, alors que d'autres vivent depuis plusieurs années avec des profils fantômes, c'est-à-dire dont les propriétaires sont décédés et qui, malgré tout, font toujours partie de leur liste d'amis.
Le projet After Faceb00k s'est donné comme mandat d'étudier l'évolution du réseau social, et il est difficile de savoir exactement où nous mèneront nos recherches. Toutefois, il était important de nous rappeler que Facebook est une entreprise privée, qui tire la majeure partie de ses revenus par l'analyse des comportements de ses utilisateurs et par la vente des informations recueillies.
Groupe de recherche After Faceb00k
Publié dans la revue Profil
Printemps 2016
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Vous voulez en savoir plus?
Site web : afterfaceb00k.com
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*L'exposition After Faceb00k : À la douce mémoire <3 qui se tenait au Musée McCord à Montréal a pris fin le 10 janvier dernier. En nous suivant sur Facebook, vous serez informé des projets d'exposition à venir.
Facebook est utilisé par plus d'un milliard d'êtres humains. Il est une photographie instantanée de n'importe quel segment de notre société à n'importe quel moment. Chaque jour, plus de 250 millions d'images sont mises en ligne par les utilisateurs, ce qui représentait en 2012 plus de 219 milliards de photos qui sont partagées, aimées et commentées dans l'esprit de participation mis de l'avant par ce réseau.
Les utilisateurs de cette plateforme l'utilisent très souvent sans censure. Leur vie y est instantanément affichée et suivie par autant de parents et d'amis que l'utilisateur peut compter. La mort est aussi une réalité sur Facebook. Il meurt huit utilisateurs de Facebook par minute. Si personne n'a le code d'accès de la personne décédée pour fermer son compte, sa vie sur le web sera prolongée, donnant ainsi une impression d'immortalité. Pour la première fois dans notre société, même après leur mort, ces personnes continueront de consommer de l'énergie en gardant « vivante » leur page Facebook.